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La mort de Benito.
prose [ ]

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par [Mariu ]

2008-03-29  |     | 



La mort de Benito. María Eugenia Caseiro.


Les filles de joie le soignèrent dans la petite chambre sombre de la rue Sol, mais il était trop tard, la vie le quitta en quelques instants et leurs mains ne purent la retenir.

Elles le rasèrent, le lavèrent avec de l’eau de lavande, cette lavande bon marché et vulgaire qu’adorait Luisa la métisse, celle qui travaillait dans le café La Estrella, où Benito trouvait tous les matins, payant d'un flot de paroles qui jaillissait de ses lèvres charnues, une tasse de café fumant et son paquet de cigarettes Competidores. « Attention, des Competidores, Luisa, ne te trompe pas » -disait Benito, la chemise entrouverte, s’éventant la poitrine avec son chapeau, tandis que Luisa le regardait bouche bée.

Elles, les filles de joie du quartier Jesús María, mêlèrent à la saveur un peu douçâtre de la mort le désir de la vie ; elles caressèrent son corps avec tendresse, le frottèrent entièrement avec l’eau de lavande, et elles y mirent tant de douceur qu’elles firent pâlir de jalousie les gardénias que Luisa avait apportées. Elles revêtirent Benito de son costume du dimanche d’un blanc éclatant que venait juste de repasser Aurelia, la métisse à la peau claire, aux fesses larges et charnues comme des feuilles de caisimón1, celle à qui Benito, si elle n’avait pas ressemblé autant à sa mère, aurait bien fait son affaire. Mais il avait pitié d’elle, et il avait beau essayer de la voir différemment, il en revenait toujours à cette ressemblance, à cette image qu’il associait aussi à celle de ses quatre petits, semblables à de petits anges sortant d’une marée noire et qui couraient sur le terrain vague, le ventre gonflé de parasites.

Les femmes continuaient à le caresser, pleurant doucement, et leurs larmes coulaient sur le corps de Benito comme une source salée et poisseuse, à cause du rimel, qui leur collait au visage comme une marque effrayante dont elles ne pourraient jamais se débarrasser. Elles lui lui mirent ces chaussettes toutes neuves que le noir Bartolo gardait dans un tiroir pour une occasion spéciale et qu’il offrit avec plaisir pour que le défunt entreprît d’un bon pied son voyage vers l’autre monde. Elles le chaussèrent aussi de ses souliers bicolores, que Bartolo avait lui-même cirés et qui brillaient comme si Benito partait pour un dernier bal. Ensuite l’œillet, un œillet rouge dans la boutonnière du mort, qui noua toutes les gorges et leur sècha même les yeux, tant elles admiraient le plus beau souteneur de Jesús María et de ses environs.

Elles le pleurèrent de toutes leurs larmes, de toutes leurs gorges, de toutes leurs clameurs, jusqu’à ce que toutes leurs caresses et que tous les mots dont elles disposaient dans leur vaste registre de bordels et ruelles sombres fussent épuisés et usés. Ensuite elles allèrent l’enterrer… Elles marchèrent sous la pluie, une pluie froide et orange dans laquelle s’était perdu le singulier cortège à travers les allées défoncées du cimetière, et les petits noirs d'Aurelia, de vrais petits diables, barbotaient joyeusement dans les flaques, encouragés par les coassements des crapauds et la beauté des lézards qui sortaient leurs foulards dans l’attente d’un nouvel arc-en-ciel.

Les filles de joie de Jesús María rendirent hommage à Benito, le pleurèrent, remplirent l’humble cercueil de baisers colorés, de porte-jaretelles, de rubans, de peignes, de boucles d’oreilles, de quelques images de saints et même de photographies dont elles avaient effacé d’anciennes dédicaces. Pour la dernière fois elles embrassèrent le cercueil, elles le virent disparaître dans les profondeurs de la fosse où le firent descendre Bartolo et le reste des hommes, le couvrant de pelletées de terre noire et fertile où pour les beaux vers rouges s'annonçait la fête de la chair, l’ouverture d’un bal nouveau et les sous-vêtements qu’elles avaient ajoutés aux petites images pieuses et au reste de la verroterie offerte à Benito, seraient saccagés, retournés en tous sens pour célébrer l’arrivée du défunt dans le sein de la terre.

Les femmes rentrèrent tristes, d’un pas triste sous une pluie triste en ce triste jour des adieux. Elles ouvrirent les portes à un sentiment nouveau, au souvenir d’un Benito sanctifié ; un saint superbe et admiré qu’elles poseraient sur l’autel de leur cœur plein de cierges et d’encens, de fleurs et de scapulaires, de verres de rhum et de cigares fumants : offrandes et mélange de toutes leurs croyances. Un saint qu’elles n’entendraient plus parler de ses aventures, de ses bravades, de ses conquêtes…, un nouveau saint silencieux qui peut-être leur rappellerait Saint François d’Assise ou, qui sait, plutôt Changó2 et ses légions.

Mais très bientôt, ce souteneur, le mieux bâti de Jesús María, saint par la grâce de l’amour aveugle et illimité des filles de joie, devait revenir sous la forme d’un esprit neuf et heureux. Les femmes ne tardèrent pas à se rendre compte que le souteneur si joyeux revenait les habiter dans leurs rêves de pluies, il revenait vivre et mourir à nouveau dans les bras de leurs inquiétudes, s’endormir au beau milieu des nuits de fête et disparaître comme toujours avec l’aube.

Ce trou terrible avec si peu de sang autour, par lequel était entrée la balle, semblait être la cause de ce que l’âme quittât constamment son corps.


Traduction: Gonzalo Navarro

Notes de Traduction
1 - Piper umbellatum (variété de poivrier).
2 – Dans les croyances afro-cubaines, Changó est un « orisha » qui incarne à la fois un grand un grand nombre de vertus et d’imperfections. Il est courageux, fidèle en amitié, devin et guérisseur, mais il est aussi menteur, vantard, coureur de jupons et joueur.

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