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■ L'hiver
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2016-07-20 | | DEDICACE Il existe bel et bien des rimes nerveuses comme des rires dont il faut se méfier ! En dehors de coquelicots évidents, les champs sémantiques sont pleins de ces mines anti personnelles que l’on prend pour de simples jeux de mots. On y trouve aussi un grand nombre de procédés et de prouesses pyrotechniques que l’on pourrait comparer à des effets de style, ce qui fait de la poésie un assaisonnement linguistique tout particulièrement détonant et de la ‘pataphysique une science du désamorçage. Méfiez-vous quand même des poètes ordinaires, trop ordinaires peut-être, car ils portent certainement sous leurs images d’Épinal, des ceintures de mots plus explosifs que la nitroglycérine. En lisant, vous vous exposez donc à de la poudre d’encre sympathique, mais aussi à des mélanges plus détonants. Comment savoir ? En lisant, vous vous exp(l)oser aux chocs d’une véritable poudrière, où il vous faudra éviter les balles artisanales et les billes plus professionnelles, les mots d’arnaqueurs du verbe et ceux d’a(r)mateurs de jeux de rôles pas toujours drôles, par exemple en lisant en diagonale, où en fermant les yeux à certains passages d’encres acides, plus noirs que de la poudre à chasser le gros gibier, plus chloratés que les mots de salpêtre, plus fumeux que l’encens des églises, plus dynamiques que le soufre de nitre. Oui, bien souvent, les écrivains ont des munitions que la morale réprouve, et des arguments de narration qui vous mettent face à vous-mêmes comme devant un peloton d’exécution. L’élocution ou les locutions ne sont jamais neutres, entre les lignes de front, il faut savoir utiliser à bon escient les mots offensifs et les expressions défensives, passer entre les lignes ou même prendre la fuite ; pas à pas, mot à mot, il faut percevoir les armes noires sur fond blanc et les armes blanches déguisées en plus-que-parfait; il nous faut encore discerner au fil de la lecture, dans la fumée dense des illusions, les traînées d’encre qui sont comme des traînées de poudre, avec des mèches allumées à fleur de peau, de véritables traînées qui vous conduisent au lit des charges explosives. Pétard ! il y a partout des métaphores qui détonent et vous font sauter les lignes comme un 45 tours griffés ; des soutes de mots qui vous jettent de la poudre aux yeux ; c’est ainsi que vous pensez à du sable doré sur une plage ensoleillée, mais en vérité ce n’est que sable mouvant, plus animé que partouze de mots. Vous imaginez toucher de la cendre de mot, mais vous avez affaire à des escarbilles qui vous enflamment l’âme. Au moindre faux pas, la poudre d’or peut se changer en plomb et la poudre de perlimpinpin en déflagrations anarchiques. Quoi que l’on écrive, quoi que l’on lise, l’état des lieux est toujours proportionnel à celui du pouls. Pour avancer, il faut avoir une forte dose d’intuition et de circonspection. C’est la raison pour laquelle, je dédicace ces pages à Louis Boumal, poète liégeois et militant wallon, mort au champ d’honneur… de la grippe espagnole. Arthur Rimbaud lui-même ne mourut-il pas d’une simple carcinose qui lui a rongé le corps et érodée jusqu’à la vie ? La preuve des mots par l’épreuve des maux que peu de poètes meurent vraiment de leur poésie, comme s’ils étaient immunisés ou vaccinés depuis leur prime enfance ! Mais en réalité, l’ennemi de la poésie n’est jamais celui que l’on croit, ou celui qui en fait sa lecture préférée, mais toujours l’un de ceux que l’on croise par hasard, tout comme Louis, un beau jour d’octobre 1918, un mois avant la signature de l’Armistice. Mais souvenez-vous-en, une épidémie de grippe espagnole peut faire moins de victimes qu’une forte dose de prose bien affinée, tout comme les plaisirs et les joies d’une belle fête, peuvent générer moins de bonheur que la simple lecture de beaux vers. LES SPHINGES DU PAPIER « Mon Dieu, donnez-moi la sérénité d'accepter les vers que je ne puis changer ; le courage de changer les vers que je peux, et la sagesse d'en connaître toute la différence. » Prière des poètes anonymes, inspirée librement de la prière des AA. Il est difficile de parler de Sphinx sans penser à la ’Pataphysique et à Œdipe, ce grand héros mythique qui sommeille en chaque aveugle que nous sommes en somme ! S’il est connu pour avoir résolu par A + B l'énigme du Sphinx, il l’est plus encore pour ses faits et gestes, comme le Docteur Faustroll d'Alfred Jarry peut l’être à travers ses Gestes et opinions. C’est sur cette nouvelle base ’pataphysique, qu’il nous faut concevoir ces actes infâmes de « parricide » et « d'inceste » comme d’infâmes métaphores et non pas comme de pures réalités en soi ; c’est là seulement, c’est-à -dire dans les zones d’ombre et les angles morts du papier que peuvent se dévoiler à nos yeux les tragédies grecques et freudiennes, et se concevoir ainsi de nouvelles et de multiples réalités tout aussi passionnantes ! Derrière les mots qui décrivent la légende et l’énigme œdipiennes se cachent les vrais maux comme se dissimulent des Sphinges de papier derrière des sphincters d’encres ; ce que, entre le réel, l’imaginaire et le symbolique, la voix et la voie, le pharynx et le signe… les systèmes digestif et reproducteur des stylos-bille démontrent magistralement ! Œdipe, un mythe qui fait beaucoup couler d’encre et qui, paradoxalement, trouve sa véritable répercussion dans cet anti-Œdipe ; c’est-à -dire dans une authentique histoire de fils incestueux qui après avoir étendu ses mots sur du papier couché durant un demi-siècle, s'aperçoit subitement avec horreur que le papier n'est pas sa mère ! Alors épris d’une véritable panique, faute de mieux, il se crève les yeux avec la virulence de son stylo-bille en écrivant plus que de raison pour recouvrir la vraie vision, seule manière de vaincre ses fantômes (ses propres Sphinges) qui ne sont que de « pures intériorités », dans un grand et flagrant délit d’écriture, sur la scène encrée d’un crime de sens. Le fait d’entretenir des rapports textuels avec sa propre progéniture (sa création, son propre écrit) sur un lit de papier vierge ou pas, relève d’une relation narcissique et quasi incestueuse. Dans ce processus de création, la feuille vierge met « en branle » tout un réseau de désirs et de mouvements internes dont l’objet du désir devient l’écriture du sujet écrivant. Là où la psychanalyse identifie chez l’enfant trois stades fondamentaux de développement psychoaffectif qui sont les stades oraux - anaux et phalliques, on peut analogiquement distinguer trois stades, celui de la tradition orale (l’expérience) avec ses « fondements » et son « stade textuel » final qui mène à la lecture, stades eux-mêmes liés à l’évolution textuelle de l’écrivain durant son enfance, l'écrivant prenant très tôt ses écrits, comme contenu et contenant... comme objets de ses désir privilégiés. LA QUÊTE Imaginer, écrire ses fantasmes, ses émotions, ses pensées et ses croyances pourrait ressembler à une forme d’auto-analyse, mais derrière les mots, c’est toujours un vrai désir libidinal qui meut les plumes et les stylets, le scripteur cherchant par là à affronter ses propres démons (sphinges), à éclairer ses ombres, à décrire ses désirs et ses pulsions, afin de tenter en vain (d’où le substantif d’écrit/vain) de les gérer tant bien que mal, en les canalisant, en les dirigeant ou en les sublimant vers d'autres objets qui pourrait si c’était le cas, le soulager d’un « complexe textuel », d’un véritable cercle vicieux dans lequel le lecteur devient à son tour « voyeur » et l’éditeur comme un plus-que-parfait complice vénal. Par la preuve des mots et l’épreuve des maux, j’éprouve ma propre destinée. Le papier vit ma chair comme je m’efforce de vivre son existence de papier, ce qui fait de l’écriture, de la scarification ou du tatouage, des formes plurielles d’incarnation du verbe « éprouver ». La feuille blanche est comme un champ de bataille avant le combat ; une terre aux limites margées, une arène sur l’arête des marges, une mine à mots dont le charbon se conjugue au conditionnel ; un terrain de golf où les trous font grise mine de plomb ; un écran de cinéma où l’on projette ces fantasmes ; une scène de théâtre qui serait comme un grand échiquier ; un white board pour écrire plus foncé ; un plateau de jeu de dames avec des Sphinges en noir et blanc ; une carte du labyrinthe ou un tapis rectangulaire pour pique-niquer avec les muses ; une dine - à - mots produisant sa propre consommation ; un laboratoire comme un atelier d’écriture où expérimenter au sein du vivant (in vivo) l’alchimie verbale ; une écritoire comme un plan de travail ; un oratoire où penser les mots qui aident à panser les maux de la vie. En ces zones d’incertitude, entre les états modifiés de conscience et les états d’inconscience, les supplices et les délices, la névrose et la psychose, les pulsions et les obsessions, les états limites et les terrains marécageux, les lieux aériens ou underground… tout reste une affaire de mots, à faire mot à mot. Waterman morne pen ! Rien n’est jamais gagné, écrire est une chose et lire en est une autre ; entre les deux les cœurs palpitent, les plumes balancent en balançant leurs mots dans le sillon des lignes. Il n’est pas simple de clarifier les modalités de cette union entre celle ou celui qui écrit, et le champ de bataille des feuilles blanches ou même noircies de signes. Effectivement, bien des trames se jouent de la blancheur et nombre de drames peuvent toujours se cacher derrière les rames de papiers les plus pures. Écrire est donc toujours un défi dans lequel vouloir faire l’économie des conflits est une aberration ! Tout comme dans les couples les plus soudés, entre les lignes ou sous le texte, entre les marges, derrière les lettres et les mots, bien des kabbales, des mystères, des oracles ou des énigmes peuvent se loger. Vous avez beau combler le papier d’annotations, remplir des pages et des pages d’écrits surchargés, de schémas conceptuels et de développements… les feuilles les plus bavardes restent aussi les plus buvardes ; même que les pattes de mouche s’y engluent et que les calligraphies les plus mouchées s’y perdent en détail et en vaines descriptions. Parole de crayons, entre les zones d’incertitude et les lignes qui supportent de trop grandes opinions, bien des servitudes se cachent et un nombre insupportable d’effets secondaires se dissimule derrière les plus beaux mots. Qu’il soit fait de vieux chiffons ou de bois jeunes, les fibres du papier portent une mémoire et cachent bien souvent une histoire qu’il nous faut savoir capter comme un voyant regarde l’invisible à travers sa boule de cristal. Les pages vacantes, l’air de rien, avant même d’être éprouvé par quelque stylet capricieux ou trop pressé, avant même d’éprouver le poids des porteplumes gorgés d’encres ou des stylos-bille saouls d’aventure – Le papier blanc, dis-je, livide de la pâleur maladive des vides, avant même de recevoir des secrets d’écriture, se reçoit lui-même de la nature. De tissus ou de chêne, par nature, le papier connait le monde des hommes, ses lieux d’homicide, ses instincts grégaires et ses pulsions maladives ; il sait par cœur de bois les vices de la bête cruelle, son besoin de reconnaissance, ses ambitions démesurées et ses attentes intempestives. Le papier n’est pas naïf et la pâte à papier n’est donc pas de celle dont on fait des crêpes et des gâteaux aux saveurs exquises, elle est plutôt du genre à porter des esquisses de poème ou de roman comme on porte sa croix, ou plus encore du genre à porter des échardes enfoncées profondément dans la chair des mots et des récits. Écrire ne relève pas du masochisme même si cette pâte à papier dont on fait les pages vides, est comme un lit tourments où l’on souffre d’escarres, de crampes aux mains et de blessures aux coudes; un authentique et brutal lit Procustéen où l’on porte et où l’on supporte l’ouvrage, attaché aux pages comme aux chaînes ou aux barreaux d’un lit de papier couché d’encre, un lit où l’on s’efforce soi-même de clarifier, de raccourcir les phrases ou même d’étirer le sens des mots, de les réduire à leur plus simple expression, en les simplifiant, en synthétisant nos pensées… ainsi de suite, pour amener le texte à « notre » propre degré de perfection. Oui, même si cela donne des crampes insupportables, le lit de la littérature est bien le sien. Procuste est toujours vivant, il est le maître des pages et l’écrivain en est l’esclave assujetti, le serviteur zélé, le poète écartelé, obéissant et soumis jusqu’aux moindres ponctuations. C'est pour mettre de l’ordre dans le chaos des pages que Procuste lui-même qui a inventé la grammaire et la conjugaison, la rime et la ride qui rythment la phrase. Il faut admettre que sur ce champ blanc la bataille fait rage, bien que et que la rage fasse page sur page; à moitié vide ou à moitié pleine, rien n’est jamais gagné d’avance ! Sur ses chevaux de feu, Procuste revient sans cesse à la charge pour éprouver nos certitudes, évider nos évidences comme un vide un regard, niveler en inquisiteur nos croyances et nos incrédulités, tirailler nos raisonnements et supplicier jusqu’à nos chairs meurtries de scripteurs abattus. Nul papier avant même d’avoir été recouvert d’encre n’est absolument vierge de tout. Vierge, il porte déjà en lui des résidus de la matière même dont il est fabriqué. Avec des secrets d’écorces, des angoisses de déforestations, des échos de vent dans les branches d’aulnes et de bouleaux … Même les forêts vierges sont loin d’être vierges de tout ! La pâte à papier, même recyclée à des souvenirs d’ombres suspectes dans les fourrés, des zestes de fraîcheur de sous-bois et des réminiscences colorées de cri d’oiseaux et de jeux de plume à la période des amours. Le papier porte en soi des sanglots d’enfants perdus dans la futaie, et des cris d’amoureux en bordure de clairières. Comme dans une « Maison de papier » décorée par Françoise Mallet-Joris, la pâte à papier garde en elle la respiration des forêts ratiboisées, avec une partie du sang mêlé de sève et de pluies. Même que les marges des cahiers se souviennent de leur existence à la lisière des grands bois, du crincrin des frictions de branches frottées de vent les unes contre les autres, des rires d’une rivière qui traversait les bois, et tous mes cahiers de poésie et mes carnets de notes sont par là même parsemés de sérails de feuilles porteuses de tout cela, avec des odeurs et des couleurs, des musiques et des formes qui sans cesse rappellent les gynécées drus des grands feuillus. Les 12000 verbes de Louis-Nicolas Bescherelle l’affirment, les champs dialectiques et sémantiques se laissent fertiliser par les stylos bille, et les lignes ensemencer par des mots coquelicots et de riches métaphores. De haut en bas, les mots tombent comme une drache encrée, ou comme des voyelles dans « des pâtis semés d’animaux » plus ou moins sauvages et familiers. Ouverte à la vie, offerte à tous les vents, la feuille blanche s’offre à nous, à nos regards voyeurs, à notre main baladeuse, à nos envies pressantes ; terre fraîche et bien grasse de la Beauce, offerte toute nue pour un rapport textuel. Mais entre la feuille prodigue et la page prodige, il y a une marge qu’il nous faut enjamber, un grand écart de plume qu’il nous faut pratiquer, une inépuisable ravine comme un sillon dans le néant, là où l’encre coule à profusion comme la semence analogique des dieux. Tel un sein maternel, le papier est une excellente terre ; un peu livide au début de l’écrit, mais de plus en plus noir à même d’abondance, de générosité en générosité jusqu’à l’extrême de la débauche des mots, quand ces derniers s’accouplent et tombent essoufflés et rompus l’un après l’autre pour tenter de faire sens au seuil même de l’insensé et lien au cœur du conflit. Oui, la feuille blanche est généreuse, prolifique même, mais il faut avoir la plume brûlante et plus fidèle qu’un sacrement de mariage ! Devant la page blanche comme face au saint suaire du temps, les champs se déroulent comme un green desséché, il faut les arroser, comme on humecte les lèvres de l’enfant qui revient du désert ; comme on plonge dans l’encre noire la feuille tarie et dans la source de la vie, la plante qui désespère. Malgré tout, la feuille blanche, c’est une zone d’incertitude engraissée de sens et d’incongruité aux multiples possibles ; ce champ aux limites incertaines qui s’étend entre le conscient et l’inconscient, l’animus et l’anima, et qui se déplie comme un drap blanc et se déploie comme un champ de bataille, il s’étend à l’infini des combinaisons, des verbes, des adjectifs… en un mot à l’immense champ virtuel réalisable. De l’intériorité jusqu’aux limites du monde des Mondes, entre le moi et le surmoi qui s’étend comme un malade ; la terre et le ciel, pour ne citer que ceux-là , qui s’étendent à l’horizon des mers... Tout semble couvert de lourds nuages, tout semble relever d’un grand duel permanent entre les réalités et les contraintes de la vie en soi (avec tout leur arrière-plan instinctif, pulsionnel et obscur), et l’exposé même, l’écrit, celui dont je vous cause ici maintenant, comme un « logos » dont vos oreilles et vos yeux, les pages ou les toiles blanches sont les supports privilégiés. Ne vous attachez pas aux mots qui passent, et n’écrivez par derrière vous, regardez à la ligne qui vient, droit devant vous allez et voyez les mots qui jaillissent du papier blanc ou de la plume, car nul ne sait d’où vient la noirceur et où la blancheur prend sa source ! Les mots viennent d’un possible pourquoi, et d’un possible ailleurs parviennent jusqu’à nous, là où l’ombre des lettres prend chair de mot et s’étend comme la lave d’une logorrhée fiévreuse. C’est le côté obscur de l’auteur qui saigne et signe de son encre les limites du papier qui se déplient au-delà des horizons. Ne vous attachez pas aux mots qui passent et n’espérez rien en retour des mots que vous adorez et des amis qui disent aimer votre prose et même faire de vos vers leur livre de chevet. N’attendez pas d’être lu avec envie, comme le papier boit l’encre pour se désaltérer, car personne au monde ne discerne l’alchimie du verbe « Écrire » ; personne ne lit vraiment entre les mots, personne ne regarde derrière les lignes, nul lecteur ne s’attarde jusqu’au bout du néant ou de la nuit ! N’attendez rien des autres comme vous attendez tout des mots, et vous ne serez ainsi jamais déçu par la quintessence de vos métaphores, et l’imparfait du subjonctif que vous oigniez à vos mots comme un sacrement de vie. Mais cherchez plutôt la source des mots qui coule à l’intérieur de vous, afin de remonter le courant, même si c’est dans la nuit des encres les plus noires, même si les mots vous emportent dans l’obscurité des sens, quittez les marges pour affronter le grand large et les eaux profondes aux multiples faces du papier ; restez fidèle à vous-même, le passé simple ouvre toujours l’avenir au futur le plus mystérieux. Que votre discours (ou récit) soit parlé ou écrit, dessiné, sculpté ou peint, tout n’est qu’un jeu d’ombres et de lumières des formes, des encres et des couleurs sur le papier ou la toile ; tout est le reflet d’une vie plus profonde, qui est à la base même de toute création. Forme ou dessin, seul « le signe » sans le pouvoir vraiment, peut tendre à faire la part des choses, dans une dynamique permanente de clarification. Le territoire de l'écriture est comme celui de la mémoire, c'est un espace à part qui nécessite une véritable rencontre et une authentique relation de complicité. Si la carte n'est pas le territoire, le papier n'est pas l'écriture, mais il est une peau tendue entre vos mains moites, tambour où les mots résonnent au rythme des pouls et des crayons de couleurs. C’est ainsi que le poète, au roulement des tambours tous les matins qu’il lui restait à vivre, comme un yogi aguerri, défenestrait son âme pour ne pas rester enfermé dans ses idées fixes. Ne dit-on pas au fond des encriers : « Chasser l’écriture elle revient au stylo ! », car ils connaissent bien ces raz-de-marée qui emportent et dessèchent les plumes comme de vieilles peaux. Alors, comme on va au charbon pour creuser les apparences, ou au taureau pour être fécondé, faute de posologie et d’alternative, crayon en main, il retournait sans cesse à l’ouvrage, cherchant avec sa mine de plomb comme changer les mots en or. Comme on tourne sept fois sa langue en bouche avant de parler, sept fois par jour il entrait en communication avec Les Sphinges de son papier filigrané. C’était là sa seule manière à lui de se mettre à l’écoute de ses muses. « Encore et toujours, j’ai beau tourner et retourner la page » disait-il, « Leurs appétits textuels me dépasse ! » S'il n’ignorait plus rien des appétences du papier, il savait par expérience que les calligraphies les plus sublimes, les stylets les plus virils, les courbes les plus sexy, ne peuvent nullement satisfaire leurs appétits de feuilles vides ! Innocentes, furibondes et impudiques, les pages blanches se présentent ainsi à nos regards, dévoilant leur sein opalin de Sphinges insolentes, afin que céans, nous y déposions nos sceaux d’encres noires ou nos seaux bleus comme la nuit ou l’océan. Si les feuilles blanches sont de papier couché et toujours à la page des marges, c’est pour mieux se disposer devant notre regard afin que nous puissions y déposer, mot à mot, nos pensées calligraphiées et nos pires cursives. Sans le moindre repos pour le guerrier au stylo harassé, sans le moindre répit, elles ne cessent de proposer des sauteries ponctuées d’interrogation comme de grands sauts de page. Au seuil de nos notes et de nos griffonnages, entre le singulier et le pluriel, l’imparfait de l’indicatif ou du subjonctif… sans vergogne, elles nous attendent de marges fermes, comme atteintes d’une forme de nymphomanie essentiellement textuelle Auréolées de lumière, les pages blanches ont présentement des envies impérieuses et des souhaits d’encres colorées ; elles espèrent le stylo comme le soleil et la Lune patientent dans l’attente d’une aube nouvelle et d’un crépuscule qui vient, pour paraître toutes vêtues de signes et de mots, là où hier encore elles étaient encore toutes nues de la blancheur même des vierges. Leur pâleur toute pathologique n’est en réalité que l’expression de leur désir d’encrage ; quand elles se présentent sous nos mains, il nous faut aussitôt les satisfaire, refroidir leurs fièvres d’encre bleue ou de flots noirs, afin d’abréger leurs chaleurs de compagnes, tout comme on comblerait en noir sur blanc, un raz de mariées en quête d’amours. Si nous écrivons de tout notre cœur, le stylo bandé comme un arc, le corps sous tension et l’âme suspendue aux mots les plus subtils, c’est pour être davantage aux couches des carnets et des cahiers à remplir. Comme au lit des feuillets, les amants qu’elles souhaitent, ce sont les uniques soupirants qui consentent à écrire de tout leur cœur leurs états d’âme et d’esprit ; ou les mariés qui remplissent leur devoir d’époux, mot à mot, page après page, jusqu’à ce que le papier jouisse noir sur blanc de tous ces mots couchés. Faire corps avec le papier, telle est la quête des plumes et des drains bien encrés. Du writing au drawing, les pages blanches connaissent ces signes qui donnent naissances, formes et sens aux récits. Sachez-le, aucune feuille blanche n’est vraiment frigide, aucune page n’est allergique aux mots ou à la poésie ; nous seuls avons ces migraines et ces angoisses qui bloquent l’écriture, nous seuls souffrons de cette impuissance qui transforme les mots en formes flasques. Oui, hyper textuelles jusqu’au-boutisme, les pages blanches sont des nymphes de papiers et des spectres trop blancs ; mais il n’existe pas pour cela de page de mauvaise réputation, seule l’impotence des stylos-billes est plus terrible que la mort ! Si elles ont le feu aux marges, des migraines d’entête, des sursauts de bas de page, alors, il vous faut encore écrire, les exaucer jusqu’au bout des phrases et des idées, les contenter suffisamment, les combler de concepts et de verbes rares comme des joyaux métaphoriques ; tout en couchant sur le papier les émotions qui vous submergent, les images qui vous hantent, les souvenirs qui vous traversent l’esprit ; les sentiments qui vous emportent l’âme. Mais mieux vaut donc mourir d’épuisement, les yeux secs, la crampe à la main et les cartouches d’encre vides que de fuir devant le papier blanc ! Comme nos muses respectives et tout à fait respectables, les pages blanches en obsédées textuelles s’amusent de nos divers tabous, de nos censures et de nos clôtures. Elles se jouent même de nos peurs de les feuilleter ou de les corner ; elles observent nos gênes, nos hésitations, nos rayures, nos gommages, nos blocages et de nos impossibilités à déposer nos propres mots dans ces espaces d’hyper textualité. (…) |
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