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■ L'hiver
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2012-11-23 | | Entre ce qui est politiquement et culturellement correct, socialement honnête ou religieusement décent, on a perdu ce qui était tout simplement « correctement humain » Comme dans un récit de Proust, force est de constater que le temps et l’espace perdurent au-delà du temps et des lieux oubliés. Au-delà de l’absence, il existe des terres de la mémoire à fréquenter et reconquérir sans cesse, tels ces corps gracieux, intemporels et soyeux de jeunes femmes nues, à demi entrevues dans les rayons pourpres d’un coucher de soleil, quand nous avions vous et moi beaucoup de projets et à peine vingt ans d’âge. Le premier entretien Quand j’ai entrouvert la porte capitonnée qui séparait mon cabinet de la salle d’attente, je l’ai vu pour la première fois à l’œuvre. Il tournait en rond, le regard fixe, comme absorbé par quelque chose que je ne voyais pas, tel un prospecteur de l’invisible ou un compulsant compulsif, obnubilé par quelques détails, il recherchait quelque chose chez moi. - Bonjour monsieur, vous cherchez quelque chose ? - Oui, je cherche toujours quelque chose ! dit-il en martelant le « toujours ». - Et vous aviez rendez-vous ? - Certainement ! Mais j’ai perdu le papier avec la date et l’heure. - Vous vous appelez ? - Je suis Alberto Cercare ! J’avais rendez-vous avec Monsieur Roland quelque chose ? Je suis ce quelque chose ! En fait, vous aviez rendez-vous avec moi hier après-midi, à 15 heures précises, mais apparemment vous m’avez oublié ! Mais enfin, vous êtes là , et je suis tout à fait disponible, alors que puis-je pour vous Monsieur Cercare ? C’est ainsi, tout simplement que d’oubli en oubli, la providence peut tisser des rencontres et croiser des chemins, intervenir dans la vie de deux chercheurs comme à l’aube d’une nécessité pour l’un et pour l’autre. Pour la première fois de sa vie, Alberto pénétrait dans l’antre d’un psy. Tout en continuant à ouvrir de grands yeux curieux, parcourant autour de lui ce lieu mystérieux et inquiétant, où les livres éparpillés semblaient eux-mêmes abriter quelques secrets perdus, il se retrouva face à mon bureau. Suite à mon invitation à s’assoir, il fit sa place dans le fauteuil couvert de cuir et de velours ; mais ne dit-on pas que la providence est là quand on est à sa juste place au juste moment ? - Je ne sais pas par quoi commencer ? me dit-il, sans quitter des yeux un angle de la pièce ou reposait avec indolence mon parapluie gris, déposé là dans un vase pseudo chinois, mon porte-parapluie de fortune. - Durant deux générations, ma famille a habité un immeuble appartenant à la ville ; il y a plus ou moins dix ans, l’administration communale a repris ce bâtiment pour y loger quelques-uns de ses services à la population, dont le bureau des objets perdus. C’est à cette époque-là que mes angoisses ont commencé ! - Depuis deux ans, c’est une véritable obsession chez moi, je passe tous les jours, ouvrables au bureau pour y chercher je ne sais quoi ! Parfois deux ou trois fois par jour, c’est compulsif et c’est fou ! C’est vraiment terrible de chercher comme ça, à en perdre la tête… Un long silence fut interrompu par le téléphone que je n’avais pas encore coupé. Chose faite, je me tournais de nouveau vers Monsieur Cercare. Causer est un risque, et Alberto semblait en avoir pris conscience ! Se souvenir de choses désagréables, accepter les événements, ce n’est pas simple, c’est même souvent très difficile ! Il y a des attaches périlleuses, des « Liaisons dangereuses », comme dirait Pierre Choderlos de Laclos ; des liaisons mal-t'à -propos qui nous lient la chair aux causes, de véritables pataquès sociaux qui sont comme des z’haricots psychologiques qui ne passent pas ; des nœuds de mémoire qui restent bloqués dans la gorge comme des arrêtes, des arrêts sur images, des clichés douloureux, des flashs honteux, de la culpabilité et de la tristesse, de la colère aussi au sujet de faits z’oubliés, refoulés au fond des malles à pataquès ; des faits qui remontent doucement à la surface avec les mots. Tels ces cailloux ou traumatismes que ratisse le jardinier ou le thérapeute, afin de recouvrir un chemin de vie interrompu, un petit jardinet piétiné par des grands, ou un sentier semé par un Petit Poucet qui a mal vieilli, toujours en quête de lui-même. - Cette maison de la ville j’y étais attaché, comme à un parent ! - Dans telle chambre ma mère a perdu sa virginité ; avant ma naissance au manque, dans telle pièce du rez-de-chaussée elle a perdu ses eaux. - C’est là où j’ai moi-même perdu ma première dent, mon innocence… - Là où mon propre père perdait son calme et sa patience. - Pourtant, je n’ai rien à me reprocher, je crois ? Mais comme le criminel revient sur les lieux de son crime, je reviens sans cesse sur ces lieux de mon enfance, prétextant à en perdre toute logique, avoir perdu quelque objet. C’est dans cette maison que j’ai perdu mon père après un infarctus ; dans cette maison que ma mère à perdue progressivement la mémoire emportée par la maladie. - Savez-vous monsieur Roland que le verbe perdre vient du latin perdere qui signifie détruire, ruiner ? Effectivement, je me sens comme un homme perdu et perdant, comme un être en perdition, privé définitivement de liberté, comme un homme déchu ayant perdu les siens. - Je suis peut-être un mauvais perdant, d’ailleurs, depuis l’enfance, j’ai tellement peur de perdre au jeu que je ne joue jamais à rien ; je n’ai plus confiance en moi, j’ai perdu mes rêves, mes illusions et mes amis. - Et si je viens chez vous, c’est justement parce que je n’ai plus rien à gagner, mais tout à perdre ! En quelques années, j’ai perdu mon père, ma mère et ma sœur unique, mon travail puis ma maison. Vous pouvez le constater vous qui avez une si belle chevelure poivre et sel, je perds tous mes cheveux comme les arbres se dépouillent en hiver. - À cinquante ans à peine, je perds mes forces, je n’ai plus d’appétit et je perds du poids jour après jour, c’est inquiétant ! Emporté par le courant, je crains de perdre la parole, la vue, ou même l’ouïe ; j’ai peur de perdre l’esprit ! - Depuis quelques années la vie perd tout son intérêt pour moi, pour tous je suis un être « paumé » je perds tout ! J’oublie aussi, j’avais de bons amis jadis, mais nous nous sommes perdus de vue, j’ai perdu leurs traces ! Je tremble des pieds à la tête de perdre encore et encore…, - En venant chez vous, j’espère retrouver le nord, une boussole à ma portée ; et j’espère ne pas perdre mon temps, car je n’ai plus un instant et plus d’argent à perdre. Ma propre vie est perdue, ma propre vie m’a perdu ! - « Rien ne se perd … » disait l’autre, l'ignare, le chimiste, mais il ne savait pas ce que j’endure au fil des jours ! Il en riait presque en me parlant. Dans cette logorrhée, Alberto ne semblait pas avoir perdu ses mots, ils sonnaient justes, fort, et seul son regard semblait être perdu comme resté à l’intérieur de lui. Par euphonie, par hasard, par hypercorrection, par nécessité, par ignorance…, il y a des chercheurs qui cherchent et puis ceux qui trouvent, mais il nous arrive parfois de chercher ou de trouver des choses qui n’existent pas, comme il nous arrive de prononcer une liaison là où elle n’est pas nécessaire, où là où elle est parfois interdites. Mais qui cherche trouve dit-on, alors entre quat'z'yeux, on cherche ensemble, on sonde la réalité, dans les couloirs du temps et sur les lignes ou se roulent avec désinvolture des phonèmes éphelcystiques, on fait des liens entre les choses, avec maladresses souvent, mais parfois on met le doit sur la blessure, sur le conflit d’origine, tout en mettant des cuirs de langue disait mon prof de linguistique, ou des velours sous une plume d’acier disait un autre, parce qu’entre le lapsus et le pataquès, accepter de parler, de prendre la parole est un réel danger aussi réel qu’imaginaire ! Tel le Valmont du roman, Alberto saura-t-il dénouer les nœuds du corps ? Couper les liens et déjouer lui aussi tous les pièges affectifs de la vie ? N’est-ce pas là le défi de chaque thérapie, un lieu sacré où le transfert est une bénédiction et où le déni est le seul et véritable problème ? Alberto, parviendra-t-il à vaincre ses résistances, ses peurs et ses angoisses sans nom ? Parviendra-t-il à atteindre ces terres intérieures, à retrouver ce qui lui semblait perdu ? Face à Alberto atterré, je suis moi-même comme déficient ; et devant tant de quêtes je suis pareillement perdu ! Force m'est de constater que dans la grille des pixels les images se morcellent ! Aucune de mes grilles de lecture ne correspond plus à cette réalité. Dans cet Univers où tout est quantifié et quantifiables, mesuré et mesurable, miséreux et misérable…, nous avons là de quoi perdre le sens et la raison ! Cadré, régulé, instrumentalisé par les multiples institutions, véritables organismes vivants, avec leurs phagocytoses, leurs rejets, leurs symptômes…, d’Académie en Bourse, tout est bien ordonné, légalisé, normalisé et officialisé, selon les desiderata des instrumentalistes. Quand on se veut lucide, dans une telle société de surconsommation on ne peut que constater les véritables manques ! Le Sapiens a perdu la sagesse, la liberté et surtout la vérité sur lui-même. C’est comme une perte de sang, ou plutôt une perte de sens, une incontestable hémorragie d’objets, de papiers estampillés, de diplômes, de patentes publiques, d’autorisations, de titres et de charges officiels ; une grande effusion de fonctions académiques, ministérielles et autres, les choses sont parce qu’elles sont « certifiées » conformes, authentiques ou véritables ! Moi-même, dans ce gigantesque bureau des objets perdus, je cherche en vain un lieu de Paix comme d'autres cherchent Dieu, la santé ou la fortune ; je suis moi aussi perclus de pertes, comme en perdition sur une mer de parapluie aux baleines tordues, et de GSM qui sonnent de manière dérisoire tout autour de moi. Comme mon patient, je me sens dépossédé de toute identité et j’éprouve une perte sans fond ! Qui a perdu la raison ? Qui est l’aliéniste ou qui est aliéné à telle réalité « officielle », au détriment de quelque invisible objet ? Qui manque à qui et à quoi ? Qui est le chainon manquant d’une comédie humaine ou le chainon manqué d’une telle tragédie ? Qui m’a spolié de mes erreurs de perception ? Qui m’a volé ces quelques mirages auxquels je tenais tant, j’ai perdu mes illusions comme on perd la vie. La mort serait-elle cette perte sèche qui nous réduit à la poussière ? Dans le huis clos de mon cabinet, je ne suis plus tout à fait chez moi ; le bureau des objets perdus occupe en grande partie les lieux, les étagères sons pleines ! La nausée de la surabondance n’est rien à côté de celle du manque absolu ; je suis réellement perdu dans d’interminables labyrinthes, dans d’interminables interrogations ; dans un grand vide, une perte de repères. Innées ou acquises les choses sont perdues, les causes oubliées, et dans l’épanchement de l’espace à perte de vue et l’écoulement du temps décadent comme l’altération du connu ; je me fragmente cherchant mes morceaux épars sur quelques rayonnages du bureau. Si vous avez perdu quelqu’un de cher, vous connaissez bien cette nuit des sens, cette obscurité essentielle…, les objets perdus auront-il une seconde vie ? Ont-ils 9 vies comme les chats noirs ? Sont-ils perdus à jamais dans un néant poussiéreux, un grenier céleste, un trou noir, objets perdus pour tout le monde et à tout jamais ? Les distraits, les pressés, les fatigués du monde se perdent plus qu’ils ne perdent. Voyageurs sans but dans des trains oubliés, que de souvenirs négligés dans les sacs perdus, que d’âmes perdues à corps perdu, de gare en gare, que de vestes oubliées gardent encore la chaleur des chairs perdues, que de porte-monnaie résonnent encore de l’unique pièce d’un trésor perdu ; que de pulls qui ont habillé de chaud l’amour ; de portefeuilles pleins de photos de familles. Oui, sur les étagères du bureau, que de cahiers et de fardes d’écoliers rêveurs, de livres aux pages cornées avec passion, restent là solitaires sur une planche poussiéreuse, avant d’être donné aux associations caritatives comme "Les Petits Riens", ou vendus aux enchères. Dorment ainsi, des milliers d’objets perdus en des gardes-objets ou des dépôts immenses, avant d’être, soit redonnés, redistribués, revendus, ou réutilisés par quelques réseaux de recyclage. On fait peau neuve, mais ce n’est qu’une mue transitoire, tout change, de concile en édition, l’Église comme la psychiatrie sans cesse corrigent leurs devoirs, révisent leurs leçons, de vie et de choses. Comme tout catéchisme, le DSM change sans cesse de peau, de contenu, au gré de forces contradictoires, de mouvements sociaux, de liens, les livres saints et trois fois sains sont sans cesse obsolètes, nous sommes perdus devant tant de contradictions, de violence, de mensonges…, mais religions et science sont pareillement ignorantes devant tant de mystères et de choses perdues. Je cherche moi aussi l’amour ou l’impossible étoile, la source noire ou la fontaine lumineuse ; dès l’aube, je quête le Saint Graal qui recueille nos larmes, et dans la nuit la plus noire, je recherche comme un expert du Centre national de la recherche scientifique la révélation suprême qui m’ouvrira la porte quand j’ai les deux mains occupées. Force m'est de constater que tout se perd et que rien ne change, pauvre Lavoisier ! Béquilles et cannes, perruques et prothèse diverses, urne funéraire, armes blanches ou pistolet, comme au Paradis, on trouve de tout ici ! Que de trouvailles ! De la poupée Barbie à la poupée gonflable, rien que des morceaux d’enfance, de vie, d'intimité, des bouts d’existence que les fonctionnaires vont soigneusement étiqueter, numéroter et ranger dans de hautes étagères métalliques après les avoir encodés avec amour. Si on peut oublier, on peut bien rêver ! De la raquette de tennis au doudou ou à la balle d'enfant, oubliés dans un parc …, tout se retrouve dans les méandres d’un bric-à -brac digne d’une étonnante brocante. De l’instrument de musique au godemichet, tout finira par trôner sur l’étagère. Un appareil photos digital plein de mémoire vive, la clé USB ou cuivrée d’un bonheur perdu, des lunettes mal adaptées aux événements, tout peut se perdre et se trouver ! Tous peuvent se perdre et se retrouver, ainsi va le monde et la vie ! Après avoir vécu en simples passants, les vivants que nous sommes finissent toujours leur périple du monde par un détour aux service des objets trouvés, nostalgiques d’un temps ou d’un lieu perdu, à la recherche de quelques souvenirs oubliés, des images d’un passé trop rapide ; images égarées dans une gare de campagne, un visage négligé ou un carnet de poésie oublié dans une station de métro, ou sur un siège de train, le pont d’un bateau ou une salle d’ attente d’un aéroport imaginaire. Oui, devant tant de quêtes, je suis moi-même perdu, et puis effectivement, comment remplir le formulaire ad hoc quand on ignore ce que l’on cherche vraiment ? Tout se perd rien ne change ! Alors que les fonctionnaires des objets perdus sont de véritables pataphysiciens pour qui les concepts mêmes de perte, d’absence et de présence ne posent aucun problème. Après quelques mois d'entretiens, par curiosité, je suis allé voir cette maison, il y avait sur la porte une affichette au contenu métaphysique : « Les objets perdus ne sont pas nécessairement des objets trouvés ! » À chacune de mes intempestives visites aux Objets perdus, on me dit toujours la même chose, me répète Alberto. - Vous savez Monsieur que notre bureau des Objets trouvés reçoit plusieurs centaines d’objets par semaine, c’est énorme ! Et vous devez savoir que nous prenons le temps de trier et si possible identifier chaque chapeau, agendas, gants Clés… Et nous n’avons pas de temps à perdre, alors nous vous prions de chercher ailleurs et d’aller consulter un psy si vous en trouvez, car ici nous n’en avons pas dans nos registres et encore moins sur nos étagères ! - Du parapluie de dame au Waterman d’un poète, tous les objets sont ici fichés et encodés par informatique, en quelques heures, selon un ordre bien précis, et grâce à notre efficacité, plus de la moitié des objets sont rendus à leurs propriétaires, et parfois même avant d’être perdus ! Oui mais ! Comment remplir le formulaire ad hoc quand on ignore ce que l’on cherche ? Quand on a perdu les réponses, là restent seules les questions ! Car en réalité, nous sommes tous des voyageurs de la vie, négligents et distraits. Des touristes commençant par perdre leurs dents de sagesse, puis leur sagesse et enfin leur propre mémoire. Mémoire des villes et mémoires des champs, souvenirs de banlieue et de vie parisienne ; de rencontres urbaines et campagnardes ; car citadins et provinciaux, tous finissent leur parcours dans un service comme celui-là , les maisons de vieux ne sont-elles pas toutes des bureaux de sujets perdus ? En psychologie comme en droit, en grammaire comme en philosophie, des sujets qui ont perdu leurs verbes et leurs rêves, leurs attributs et leurs liens avec le monde sont des objets perdus ! Dans les homes, les hôpitaux, les murs et les objets, qui ont bien sûr des yeux et des oreilles radotent eux aussi. On dit qu’ils délirent, mais moi qui suis réceptif, je peux leur parler et les entendre me répéter que durant la nuit, quand dorment les sujets, les souvenirs perdus reviennent hanter les rêves et les couloirs. (...) Extrait de Chroniques de psychothérapies |
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