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■ Les saisons
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2012-11-06 | |
Après les avoir traqués et pourchassés, les mots sont des enfants sauvages qu’il nous faut amadouer comme de petits animaux domestiques, avec l’encre, la plume, le papier et beaucoup de patience, car nous devons nous-mêmes apprendre, mot à mot, à nous apprivoiser.
Avant d’être attrapés, ils étaient des mots oubliés ou oublieux, perdus ou abandonnés dès leur plus jeune âge, avant d’être causés, parlés, dans le profond silence du Verbe ; ou bien ils vécurent reclus dans des bouches fétides, à l’écart de toute conversation humaine. Ils étaient parfois des mots rejetés, battus de verbes avant d'être griffonnés et abandonnés dans la marge d’un vieux cahier. Vous connaissez tous ces récits d'enfants élevés par des loups ou par des porcs sauvages, il en est de même des mots maltraités dans des bouches infâmes, élevés grossièrement par des ours mal léchés, par des bêtes à la langue trop critique et aux babines acerbes. Pauvres petits mots parfois conjugués par des langues de vipères, par des animaux hostiles, des prédateurs, ou par des hommes de Lettres sans être, comme par des éditeurs sans scrupules. Tout comme Victor, l'enfant sauvage de l'Aveyron, éduqué pas à pas par Jean Itard, un courageux précurseur ; le petit farouche, il fallut d’abord l’approcher, doucement, sur la pointe du Bic, franchir ses limites, ses marges et toucher la ligne, puis lettre après lettre, page à page, avec délicatesse et douceur en faire un ami authentique. Il en est de même des mots ! Oui, comment approcher ces mots farouches, sans faire trop de son nez, trop de bruit et trop de tapage médiatique ? Comment dompter l’indomptable quand le Verbe se conjugue à l’infini ? Et puis, les attraper est une chose, les apprivoiser en est une autre ! Les mots tout comme les enfants sauvages sont comme des vents indociles, qui savent parfois se faire souffle léger, et d’autrefois se transformer en rafales violentes. Renard, Rose, Zéphyr, Mowgli ou Alizé, les vents et les tornades se nomment mot à mot, comme des noms propres ou pas, les décliner est une nécessité du langage comme de l’éducation ! Comme pour ma relation à l’enfant sauvage, je deviens responsable de ce que j’ai apprivoisé, c’est bien ce que glapit, jappe, glousse et crie Le Renard dans Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry ; il en est de même des mots que je pense pour mieux panser les maux. Les mots s’apprennent par coeur, ils s’apprivoisent tels des oiseaux et se cultivent comme des fraises; on les soigne, on les éduque…, comme les enfants qui sont essentiels à l’humanité, les mots sont nécessaires à toutes les formes de domestications (ou de dressage), afin de dresser une liste exhaustive des choses du Monde et des Univers, pour relire le passé, écrire le présent et dresser l’avenir, apprivoiser la nature, nommer la vie... mot à maux. Entre l’enfance sauvage, la vôtre, la mienne, la nôtre, et les mots qui nous lient les uns aux autres, tout est une question d’altérité et de responsabilité comme dirait le philosophe Levinas. Si la relation d'altérité entre le mal et le mot n’est plus à prouver, l’épreuve appelant la preuve ; ce qui me reste à découvrir au cœur même de cette relation au langage et à l’homme, ce sont les mots approuvés des maux éprouvés qui vont me le signifier. Donner sens à ce que j’écris et à ce que je vis, c’est un rapport de nature éthique. Qu’il s’agisse d’enfants sauvages ou de mots, qu’elle est la signifiance de cette responsabilité, qu’elle est la marge, la limite, l’éthique…, entre celui qui écrit et la vie ? Utiliser tel mot, tel style ou telle forme de langage m’engage ! Cela hypothèque ma vie, et engage ma vie vis-à -vis des autres, lecteurs ou auditeurs, et même vis-à -vis du monde. Sans aspirer comme lui au Prix Nobel, à l’image d’un Kipling, comment puis-je définir ma relation aux mots dans « La jungle des livres » ? |
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