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Destins de l’espace saharo-sibérien (2)
prose [ ]
Un siberien «velikorusse» (*) et le pistolet-souvenir de l’Afghanistan (La traduction du roumain et l’adaptation sont réalisées par l’auteur lui-même.)

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par [dorarab ]

2012-07-25  |     | 



Vsegdapianii («Toujoursivre») est le fier propriétaire d’un deux-pièces à Kourgan, en Sibérie, ville située pas très loin des montagnes de l’Oural. Plusieurs fois par jour, il aime arpenter, pensif, le salon – poitrine bombée, les mains dans le dos – et se dire à lui-même: «Ceci est mon territoire!» («Éto moïa terytorya!») Il avait acheté cet appartement suite aux mesures libérales prises lors de « perestroïka » de Gorbatchev. Il l’avait payé six mille roubles en liquide – lorsque le rouble était un dollar et demi –, une somme énorme par rapport au salaire d’un professeur dans le secondaire, ayant une ancienneté moyenne, salaire qui s’élevait à approximativement cent cinquante roubles par mois! Il savourait sa réussite tout en regardant triomphalement l’appartement, tel un meneur de troupes sur le champ de bataille, après une grande victoire, comme l’avait jadis fait Souvorov, pour lequel Vsegdapianii avait une immense admiration, sentiment d’appréciation dû, peut-être, au fait qu’il ressemblait, à de nombreux égards, à ce généralissime: riquiqui, blond, les yeux bleus, un regard acéré, agile. En échange, il avait un penchant pour la boisson et le bras gauche entièrement paralysé.
Vsegdapianii, ayant pour nom complet Vsegdapianii Vodoboïaznovitch («Hydrophobovitch») Solioniiogourets («Cornichonauvinaigre»), est né à Kourgan en 1968, quand Brejnev, le chef absolu de l’Union Soviétique, a ordonné que les tanks étouffassent «le printemps de Prague», une occasion exceptionnelle pour que le communisme acquît un visage humain. La mère de Vsegdapianii était lavandière et son père, chauffeur de camion. Son grand-père avait combattu, en tant que soldat, sous le commandement du célèbre Tcheapaev, général de division dans l’Armée Rouge pendant la Guerre civile à laquelle s’était confrontée la Russie soviétique, guerre qu’il avait pour coutume de raconter avec moult détails à ses petits-enfants. Il aimait de tout cœur dire de blagues sur Tcheapaev. Aussi, chaque fois qu’ivresse et discussions se mêlaient, farcissait-il son discours de blagues «Tcheapaev»:
– Eh, vous savez qui était Tcheapaev? Vous n’en savez rien du tout. Vous êtes des êtres pathétiques («jalkie vidi»). Il a donné sa vie pour que la Mère Russie («Mati Rossia») s’étendît de l’Océan Atlantique jusqu’à l’Océan Pacifique. Sachez, pauvres putains («bliadi») que vous êtes, que le désir des ennemis de réduire la superficie de l’U.R.S.S. aux dimensions de la Place Rouge de Moscou ne s’accomplira jamais! Où en étais-je?
– À Tcheapaev, notre chéri («nach milii»).
– Vassilii avait à ses côtés un jeune officier qui lui rendait des services personnels ; il s’appelait Palka. Il tenait aussi une cuisinière, Anka. Elle était aussi bien la maîtresse (« libovnitsa ») de l’un que de l’autre. Ha, c’est drôle, n’est-ce pas ? Une nuit, très tard, Palka est rentré dans la chambre à coucher d’Anka et l’a tendrement invitée à une promenade au clair de lune. Ha, qu’en dites-vous? Anka s’est gentiment excusée, en disant qu’elle n’avait pas de robe appropriée pour une telle promenade. Alors, Palka, furieux, a ouvert l’une après l’autre les portes de toutes les armoires qui se trouvaient dans la pièce et, en montrant du doigt les vêtements suspendus aux cintres, a dit : «Et celle-là, ça ne te convient pas? Ou bien celle-là, elle n’est pas bonne ?Bonsoir, Vassilii Ivanovitch. Et celle-là, elle n’est pas bonne?» Et, maintenant, passons aux choses sérieuses: Santé ! («Na stchiastïe!»)
– Jusqu’au fond («do dna»), sans oublier la devise : «On ne mange rien après le premier verre» («Posle pervovo stakana ne zakousivaïut»)! a dit quelqu’un parmi les convives pour les inciter.
– Ça, nous le savons! Je vous raconte encore une blague : «Il n’y a pas de femmes désagréables, mais il y a peu de vodka» («Niet nekrasivih jenchtchin, esti malo vodki»). Qu’en dites-vous ? Sommes-nous, les Russes, des misogynes?
– Vsegdapianii Vodoboïaznovitch, tu as tout notre respect, tu sais poser les bonnes questions. Mais, au lieu de te répondre, je te dirai ce que nous disons nous, dans le peuple: «Au temps de la jeunesse : de la vodka, une barque et une jeune fille; au temps de la vieillesse: du kéfir, une meringue et une latrine bien chauffée.» («V iunosti»: vodka, lodka i molodka; v starosti: kefir, zefir i tioplenkii sortir.»)
– Je vous raconte encore une blague sur Tcheapaev. Un soir, Vassilii a voulu rentrer dans la chambre d’Anka, mais, étant tourmenté par toutes les balles qui, au long de la journée, étaient passées juste à côté de ses oreilles, il a perdu presque toute sa virilité et a eu peur de se compromettre à nouveau face à la jeune fille. Furieux parce qu’il n’était pas pleinement excité, il s’est alors mis à intimer, comme un écervelé, des ordres à son propre «machin»...
– Tu nous as déjà raconté cette blague, nous savons ce qu’il criait: «Lève-toi, debout! » («Ravnaïsi, smirna!»)
– Ha, ce que j’aime les blagues sur Tcheapaev! Comme je vous le disais, dans la chambre voisine à celle d’Anka, Palka, qui entendait à travers les murs les cris de son supérieur, se mettait debout là où il était, dans le lit, chaque fois que la commande «Ravnaïsi, smirna!» était prononcée. Au grand désespoir de la jeune fille. Ha, ce que j’aime les blagues sur Tcheapaev!
– Encore une blague, qu’en dites-vous?
– ...
– On a fait un test portant sur les «pensées» que nourrissent les hommes après avoir bu cent millilitres de vodka. Pour ce qui était de l’Américain, une voiture est apparue sur l’écran de l’appareil qui réalisait le test, pour le Français, une femme et, lorsque le tour du Russe est venu, rien du tout. On a donné alors à notre Russe encore cent millilitres de vodka et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il ait avalé tout un litre. Et là, sur l’écran, est enfin apparu un petit point noir. Les spécialistes ont agrandi le point juste assez pour comprendre ce que c’était: un cornichon au vinaigre… est alors devenu visible sur l’écran.
– Putain, tu fais allusion à moi ?
– Non, vieux , c’est ce que dit la blague.
Il leur arrivait souvent de tomber sur un problème «paradoxal» qu’ils ne pouvaient résoudre:
– Je ne comprends pas, disait Vsegdapianii pour amorcer le débat. Comment est-ce possible que les Pays-Bas, dont le territoire ne s’étend que sur un seul fuseau horaire, aient des florins qui valent plus que les roubles que nous avons dans ce pays où, lorsque le soleil se couche à Vladivostok, à Mourmansk, il se lève à peine?
– Certes, il est normal que le dollar soit plus petit que le rouble, parce que le territoire des Yankees est plus petit que le nôtre. Pourquoi ne respecte-t-on pas cette règle aussi dans le cas du florin? Si notre pays est le plus grand du monde, le rouble devrait être la devise la plus forte!
Vsegdapianii était, en quelque sorte, le chef d’équipe («désiatnik») des ivrognes, d’autant plus qu’il lui arrivait souvent de tout payer lorsqu’ils faisaient ribote. Ses amis avaient pour habitude de se rassembler chez lui vendredi soir et l’ivresse se prolongeait jusqu’à dimanche soir. Leur réserve était d’environ dix bouteilles de vodka pour un groupe de cinq ou six personnes. Pour ce qui était du manger, ils avaient des harengs fumés pêchés dans la Mer de Béring. Lorsque la ribote battait son plein, ils poussaient des cris satiriques («tchiastouchki») pour ainsi dire. L’un de leurs préférés disait: «J’ai eu une femme,/ elle m’a aimé,/ elle ne m’a trompé qu’une seule fois,/ mais ensuite a décidé:/ ah, une fois, encore une fois,/ encore maintes, maintes fois,/ quarante fois à une fois valent mieux,/ que nule fois à quarante fois» («Ou menea bila jena,/ ona menea liubila,/ izmenila toliko raz,/ a patom rechila:/ ah, raz, echtchio raz,/ echtchio mnogo, mnogo raz,/ luchtche sorok raz po-razu,/ tchem ne razou v sorok raz»).
Vers minuit, il n’y avait évidemment plus rien à boire; les bouteilles vides étaient rangées, comme de quilles, sous la table de la cuisine. Ils se mettaient alors à fabriquer, selon une recette archiconnue en Russie, la soi-disant «vodka de Mendeleïev»: on mélange de l’eau (deux parts) et de l’alcool éthylique à 96 pour cent (une part). On obtient ainsi une boisson alcoolique à 40 pour cent.
Si cette source s’épuisait, elle aussi, ils sortaient faire un tour dans le quartier chez les fabricants artisanaux de «samagon», boisson obtenue par la distillation de la betterave fourragère et dont l’odeur était si fétide, qu’il n’était pas vraiment difficile de trouver les bonnes adresses. En dernière instance, pour apaiser leur soif jusqu’au matin lorsque les magasins ouvraient enfin, ils avalaient une boisson qu’ils tiraient de la cire à chaussures à base d’alcool. Ils enduisaient des tranches du pain avec du cirage à chaussures. Après que le pain eut absorbé l’alcool, ils enlevaient le cirage avec un couteau. Ensuite, ils suçaient le pain. C’était simple... et, surtout, ingénieux de satisfaire ainsi leur appétit.
Avant de tomber dans un sommeil bacchique, sommeil béni, Vsegdapianii répétait avec tristesse, mais de tout cœur: «Sacha, Sacha!», le diminutif du nom Alexandre, de son garçon, qui vivait loin et dont sa mère avait la garde. Le penchant de Vsegdapianii pour la boisson était à l’origine de cette séparation, passion qui s’était accentuée à partir de l’année 1988, lorsqu’il avait été envoyé en Afghanistan, pays que les Soviétiques avaient envahi sous les ordres de Brejnev en décembre 1978. Il avait traversé une grande partie des versants abrupts des montagnes de l’Hindou Kouch en tant que mitrailleur sur un tank. Dès qu’une silhouette humaine se montrait à l’horizon, il lui tirait dessus au nom du maintien au pouvoir de la clique communiste de Babrak Kamal. Tuer était devenu un métier comme tous les autres. Il tuait depuis son tank des moudjahidines, des talibans, des civils innocents ; la balle ne choisissait pas. Vsegdapianii noyait ses regrets dans la vodka et, de là jusqu’à la dépendance, il n’y avait qu’un pas.
Krassavitsa («Belle»), son épouse, lui manquait souvent, surtout le soir. Chaque semaine, il faisait tout son possible pour lui envoyer une lettre. Il l’avait rencontrée en 1985, en automne, à l’école du soir. Tous les deux, ils faisant des études pour devenir électriciens. Ils ne s’étaient jamais vraiment aimés. Il s’agissait plutôt d’une attraction charnelle. Le matin du premier dimanche qui a suivi leur rencontre, Vsegdapianii a invité Krassavitsa au cinéma. Ils ont vu Moscou ne croit pas aux larmes (Slezam Moskva ne verit). Lorsque Rudolf et Katerina ont fait l’amour dans le film, Krassavitsa et Vsegdapianii se sont, eux aussi, mis à se tripoter… Elle lui a chuchoté à l’oreille:
– Les personnages font l’amour comme au temps de Lénine.
– Comment?
– De manière rigide, prolétaire, sans fantaisie. À présent, nous vivons la perestroïka, le changement.
– Mais qu’est-ce que la perestroïka lorsqu’il est question de sexe?
– Laisse-moi te montrer! a-t-elle répondu, tout en penchant la tête sur ses genoux, à la faveur de l’obscurité.
– Je comprends… beaucoup mieux… à présent... la perestroïka... de Gorbatchev, a reconnu, tout en haletant, Vsegdapianii, après un certain laps de temps. Ça oui, c’est le communisme à visage humain!
Ensuite, ils ont quitté le cinéma en se tenant par la main. Ils ont traversé la métropole sibérienne, chef-lieu de la région du Kourgan, située au sud du bassin pétrolier de la région de Tioumeni, le deuxième en grandeur après celui de la Mer Caspienne. La ville de Kourgan s’est développée en catastrophe, à la suite du déménagement précipité des usines militaires au-delà des montagnes de l’Oural, déménagement déterminé par la défaite de l’Armée rouge dans la première partie de la Seconde Guerre mondiale. Les HLM construites à l’époque ressemblaient aux dortoirs en briques d’une garnison. Se promener à travers certains quartiers de Kourgan revient à sentir en quelque sorte l’atmosphère soviétique des années 40. L’avenue principale de la ville s’appelait Lénine, même au temps de Gorbatchev.
Les deux amoureux sont restés quelques secondes les yeux rivés sur la tribune officielle, qu’on ne défaisait jamais, tribune devant laquelle avaient lieu annuellement les défilés du sept novembre et du premier mai. Seul le bus-restaurant manquait. Garé derrière la tribune, il mettait à la disposition des dignitaires du thé chaud, des pirojki, du jus; il avait même des toilettes.
Ils sont entrés dans le parc central, où, dans le rythme d’une fanfare militaire installée dans un pavillon, quelques dames âgées, des vétérans de guerre, la poitrine couverte de médailles, dansaient d’un air fier et ostentatoire, deux par deux, alors que les hommes, des vétérans, eux aussi, étant en infériorité numérique, préféraient rester sur un banc et les regarder. Puis, ils ont traversé le pont sur la rivière Tobol, à proximité du magasin universel T.U.M., «Tsentralinii Universalinii Magazin», une vieille dénomination pour une construction nouvelle, moderne. De nombreux pêcheurs avaient jeté la ligne dans le lac formé par le barrage en dessous du pont. Encore quelques pas et ils étaient déjà dans l’infinie forêt sibérienne de bouleaux. L’oasis urbaine la plus proche était représentée par la ville d’Omsk, qui se trouvait à une distance de sept cents kilomètres. Une route forestière, partiellement couverte par des feuilles mortes, constituait leur seul repère. Ils ont marché encore quelques minutes, avant de se précipiter derrière le premier bouleau venu. Et là, ils se sont unis à même la grosse couche de feuillage, sans se soucier du fait que les passants auraient pu les voir. En vérité, on entendait pas très loin des gémissements qui invitaient au travail… Personne ne les aurait dérangés, pas même avec un regard. Il existe en Sibérie un éventail féminin propre à satisfaire, de façon presque instantanée, les impulsions sexuelles masculines. La taïga sibérienne est un «nid de folies» qui ne connaît pas de limites. Les deux amoureux se sont ensuite écartés l’un de l’autre quelques minutes durant, afin de s’allonger sur le dos et de se reposer. Ils sentaient sous le poids de leurs corps les feuilles molles et chaudes. Cette année-là, l’automne avait été long et, l’après-midi, il faisait trente degrés et plus encore. Un pic cherchait des insectes sous l’écorce «dalmatienne» d’un bouleau. Les feuilles jaunies filtraient les rayons du soleil. Une ambiance idoine pour les serments d’amour éternel. Mais il arrive parfois que le temps détruise tout…
Vsegdapianii est resté en Afghanistan jusqu’au quinze février 1989, lorsque les troupes soviétiques ont battu définitivement en retraite. Il est rentré à la maison avec un pistolet Makarov, qu’il avait caché dans le plastron de sa chemise. Vsegdapianii le tenait pour un souvenir de guerre. Il n’était pas difficile de se procurer des armes prises sur les camarades fusillés. Dans la comptabilité de l’armée, tout passait pour perte de guerre. Qui pouvait vraiment en tenir le compte?
Depuis sa démobilisation, Vsegdapianii percevait une indemnité de cent roubles, argent qu’il dépensait en boisson. Krassavitsa ne tolérerait pas ses nouvelles habitudes. Et les querelles ont commencé... Désespérée, Krassavitsa est partie chez ses parents avec Sacha. Vsegdapianii a essayé maintes fois de la persuader de rentrer à la maison, mais sans résultat. Dans un moment de faiblesse et sur le fond d’un état d’ivresse avancée, le Sibérien a menacé de se suicider, si elle ne revenait pas à la maison. « Sacha ! Sacha ! » a-t-il crié au téléphone pour la dernière fois, avant de pointer son pistolet-souvenir vers son cœur. Il a fermé les yeux et a tiré. Boum!
Il s’est réveillé dans une chambre d’hôpital. Ivre, comme il l’était, il n’a pas atteint le cœur, mais l’un de ses bras. L’os était brisé et le nerf tellement endommagé qu’il était impossible de le suturer. Cependant, il a aussi contracté une ostéomyélite. Ensuite, il a été conduit au Centre scientifique de Kourgan «Guérisons traumatiques et orthopédiques». Là, on lui a enlevé toute la partie infectée de l’os. Puis, à l’aide d’un dispositif inventé par le médecin Ilizarov, les deux extrémités restantes de l’os ont été rassemblées et resserrées pendant trois mois pour qu’elles se soudassent. Six mois plus tard, l’os guéri a été tranché et, grâce à un dispositif similaire, ses deux extrémités ont été écartées d’un millimètre par jour, jusqu’à ce que le bras atteignît sa longueur initiale. Trois mois plus tard, le temps pour ossification, Vsegdapianii a quitté l’hôpital.
C’était l’été 1990. Que faire d’un bras gauche invalide ? Il a eu l’inspiration de louer un local sous l’escalier de la Maison de culture de Kourgan, dans lequel il a aménagé un atelier de réparation de postes de télévision en couleurs – une nouveauté à l’époque en Sibérie. Il demandait quarante roubles pour réparer un poste, une somme avec laquelle il aurait pu s’acheter cent soixante pains. Et des clients, il en avait. Dans un an, il a pu acheter un deux-pièces. Il a eu beaucoup de chance, puisque le rouble, qui avait été le symbole de la stabilité communiste, s’était vite dévalorisé par la suite. Il ne s’enivrait désormais qu’une seule fois par semaine, le désir de gagner de l’argent ayant partiellement vaincu son coûteux penchant.
Le temps passait sans apporter de grands changements dans la vie de Vsegdapianii. L’espoir qu’il aurait un poste de dirigeant s’éteignait lentement et sûrement. La thèse léniniste – «les enfants des lavandières dirigeront le pays» – n’était plus d’actualité. Il considérait Gorbatchev comme un traître («izmennik»). Le lundi dix-neuf août 1991, tandis que le président Gorbatchev passait ses vacances en Crimée, dans sa «datcha», Vsegdapianii a entendu un communiqué transmis par l’agence de presse TASS : «Mikhaïl Gorbatchev n’est plus en mesure d’assumer ses fonctions pour des raisons de santé et vient d’être remplacé par Gennady Yanayev». Les événements se précipitaient : le directeur du KGB, Vladimir Kroutchikov, et le ministre de la Défense, Dimitri Yazov, ont décrété l’état d’urgence pour une période de six mois, tout en annonçant le rétablissement de la censure et en ordonnant que les tanks rentrassent dans Moscou. Boris Eltsine, qui se trouvait alors dans le bâtiment du Parlement, en est sorti afin d’inciter les gens à la désobéissance civique. Les tanks ont écrasé les corps de trois jeunes qui jetaient des cocktails Molotov. Le lendemain, des milliers de personnes ont défié les blindés. Le soir, les tanks se sont enfin retirés. Mercredi, Gorbatchev est rentré à Moscou et, jeudi, les membres du putsch ont été arrêtés.
Vsegdapianii était de plus en plus dérouté. D’une part, il rêvait de changements libéraux et, d’autre part, la disparition de l’U.R.S.S., qu’il sentait imminente, lui déplaisait. Mais il n’a pas pu échapper à ce qu’il craignait le plus. Le huit décembre 1991, on a organisé une «chasse» dans la résidence «Viscouli» du président Stanislav Chuchkevitch, qui se trouvait dans la réservation naturelle Belovejskaia Pouchtchia, à côté de Brest. Les invités étaient les présidents Boris Eltsine et Leonid Kravtchouk. Trois des quatre républiques qui avaient fondé l’U.R.S.S., la Russie, le Bélarus et l’Ukraine (la quatrième étant la Transcaucasie), ont signé un traité en vue de la constitution de la Communauté des États indépendants, ce qui représentait formellement planter un poignard dans le cœur de l’union étatique rêvée par Lénine. Gorbatchev, appelé aussi «Mikhaïl sans pays» («Mikhaïl bez strani»), a accusé Eltsine d’avoir accéléré la disparition de l’U.R.S.S., à cause de son trop grand désir de pouvoir, et Eltsine a blâmé les putschistes d’août 1991.
À la suite de ces événements, Vsegdapianii s’est senti blessé dans son âme de «vélikorusse». Il était au moins satisfait que son nouveau pays, la Fédération de la Russie, avait réduit le nombre des musulmans par la non-inclusion des anciennes républiques de l’Azerbaïdjan, du Kazakhstan, de la Kirkizia, du Turkménistan et de l’Ouzbékistan, opinion fondée sur l’expérience acquise pendant les années passées en Afghanistan. Mais sa consolation la plus grande consistait dans le fait qu’il était devenu le propriétaire d’un deux-pièces, raison pour laquelle, chaque soir, lorsqu’il n’était pas ivre, il se remettait à zigzaguer à travers le salon, en répétant d’un ton fier et, parfois, menaçant: «Ceci est mon territoire!»…

(*)«vélikorusse»: un partisan de la Grande Russie («Velikaïa Rossia»).

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