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C'est le printemps !
prose [ ]
Extrait du Pavillon des Anges

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par [Reumond ]

2012-03-07  |     | 



illustration : autoportrait aux fleurs (2012)



C’est le printemps !

Au Pavillon des Anges, ça bouge fort !

Et comme ici, la vie privée est toujours publique, je vous pose la question : Le printemps est-il une maladie sexuellement transmissible
par le pollen des fleurs ?

Car il y a des éternuements et des semblants d’allergies dans les couloirs. Il y a un air de printemps dans l’air du temps et dans l’air confiné des locaux stérilisés.

Finies la grisaille des tristes mines et celle de l’hiver qui ternit les vitres et cache le soleil ; finis les neiges et le gel qui vous collent les paupières comme des images honteuses, c’est le renouveau de la nature ! Mais c’est aussi celui des hommes, la mue des voix, des cris et des plumes qui se font nuptiale comme la danse du même nom.

Dans notre hypothalamus, l’été à venir concocte déjà ses potions; en catimini, de lobe en lobe il se love dans tous les états d’âme, pour venir, un jour, sans crier gare sur le rail des saisons. Le printemps revient comme un grand frisson de violon monotone, qui parcoure les corps, les tempes et donne la chair de poule comme les paroles d’un beau poème. Il revient, c’est sûr, pour lever une armée de neurones, faire circuler des neurosécrétions, tels des neurotransmetteurs fouetteurs de merde et de liqueur masculine.

I love you ! Les séraphins hallucinent, Saint Valentin délire, c’est la nymphomanie qui reprend ses droits et l’érotomanie qui occupe la gauche ; les deux hémisphères savent y faire pour faire l’unisson, avec frénésie, « unissez-vous » disent-ils, dans un seul et grand transport amoureux.

C’est ça, plus fort que moi ! Les cerveaux fêlés laissent passer les jonquilles ; parce que ce matin, le petit grain de tendresse qui fait tourner le monde a trouvé une terre meuble.

Toqués, hallucinés d’ici, exorcisés de là bas, détraqués d’hier, esprits tourmentés de demain, aux armes Citoyens ! Même que les océans extravaguent sur les plages de cuisse écartées, et que la raison déraisonne plus que d’oraison, pour s’ouvrir à la vie ; alors, allons enfants de la folie ; frénétique, inattendu, le jour de gloire est arrivé !

C’est un soulèvement général, sans ticket de retour ; c’est la révolution de mars, l’insurrection des corps attachés ; avec de grandes décharges d’ocytocine dans le sang, c’est la mécanique et toute la chimie spirituelle en même temps !

Le temps de germer est venu, le printemps est là à la porte fermée, pressé d’ouvrir les cloisons ; l’acné presse le bouton, on a tous la folie en tête et des bourgeons tout pleins l’imaginaire ! C’est le tamtam des pulsations qui rythme les veines, c’est la germination qui m’ouvre les yeux et l’éternel clivage entre l’hiver et l’été qui revient comme chaque année pour diviser les uns et pousser les autres.

Si Dieu existe, il est la source de toutes ces folies ! Celles des gens simples, ordinaires qui sont en vérité et en esprit, les véritables héros de cette histoire de Pavillon.

(…)

Entendez-vous la plinthe des murs qui se colle aux planchers et les gémissements de plaisir qui descendent des plafonds, le rut des murs, le brame des planchers, quand s’accouplent les caissons entre-deux couloirs, et que les voûtes femmes accueillent les solives mâles, à la sauvette, comme ça, dans les passages les plus étroits. C’est « ça », ça va et ça vient, ça va-et-vient, les résidents ont la bougeotte, et tout semble vouloir forniquer autour de nous !

C’est la primavera, l’Allegro qui donne des ailes d’Ange aux handicapés, et du génie à la folie.

« Voici le Printemps que les oiseaux saluent d'un chant joyeux. »,

Alors, que les aliénés viennent boire à sa fontaine, « au souffle des zéphyrs », l’eau de Jouvence, et que partout éclabousse la vie « en un doux murmure. », c’est la primavera au Pavillon des fous ; c’est une folie qui voit le jour, une douce folie qui dispense ses rayons dorés, une folie qui laisse là ses gilets inutiles ; une folie douce qui s’exprime par son chant mélodieux ; et une folie furieuse aussi, qui pousse le gland, copule à tous les vents, au moindre courant d’air quand le Lièvre de Mars traverse les miroirs, les dortoirs et les rêves, car c’est la saison des Zamours.

(…)

C’est l’allégro de Vivaldi que l’on diffuse dans les corridors comme une huile essentielle, pour apaiser les tourments ; la musique dit-on en hauts lieux, adoucie les mœurs, mais ici, ce sont les mœurs qui rythme la musique, c’est un ballet d’Alain Platel, une chorégraphie qui guide le pas, dans le trait de Lamali Lokta qui donne le mouvement et l’esprit du printemps, c’est la danse de l’amour, la saison des hardiesses extrêmes.

Même que les coccinelles ne font plus peur aux zoophobes, et que les arbres en fleurs n’effraient plus les batonophobiques qui aspirent au jardin.

Les sexes crocus sortent de la torpeur de l’hiver, les fougères et le lierre montent et grimpent comme des singes le long des chairs. Malgré les médicaments, plus rien ne résiste à la montée de la sève, même le personnel soignant plaisante gaiement sur « la chose », c’est l’incidence du printemps, c’est la musique douce et la douceur de vivre qui reviennent à l’assaut ;
C’est « Le printemps » dans l’âme et le corps, les coroles s’ouvrent aux rayons de Vénus.

Ceux qui hier encore étaient méfiants, regardent dans le vide comme s’ils voyaient le pays des délices, avec le plus vif intérêt, ils sourient aux Anges, rient aux éclats, parlent aux oiseaux. Ils se mettent tous à dodeliner de la tête et des hanches, d’avant en arrière, de gauche à droite, en répétant le mouvement au rythme de leurs reins.

Minute après minute, dans le continuum espace-temps, les fleurs poussent entre les circonvolutions des heures ; c’est vraiment le printemps ! L’amanite phalloïde et le caducée font bon ménage, ce sont les quatre éléments qui se mêlent en une seule matière, dans un même enivrement ; c’est la passion ardente qui lève le couvercle, la folie aveugle qui quitte sa boîte noire en ouvrant les yeux au monde ; dans les coins et recoins, on s’embrasse follement, et sans amour propre on se souille le pyjama ; c’est le flirt entre racines, les caprices d’amourette de partage, une aventure de passage ; c’est la caresse qui rejoint le soupir, c’est le Désir avec un grand D qui prouve bien que l’hiver est caduc !

C’est, après le Stabat Mater Dolorosa, la résurrection joyeuse de la Terre-Mère, qui s’opère en toute chair ; c’est l’Alléluia, l’apothéose de la vie et sa victoire sur la mort et la maladie.

Le nu se fait moins discret, les banderoles décorent les murs ; des origamis ornent les tables, les œuvres d’art thérapie se déploient comme des formes neuves, et se font vives comme les couleurs d’un fond d’écran printanier.

Pâques déjà se profile à l’horizon des couloirs, c’est le temps des cadeaux et des œufs en chocolat.

(…)

Extrait du Pavillon des Anges

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