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Le pavillon des Anges
prose [ ]
Extraits I

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
par [Reumond ]

2012-01-28  |     | 




à ma cousine Colette.


Comme le spéléologue se prépare et s’entraine durant des jours et des semaines à descendre au plus profond de l’être, j’avais quelque temps auparavant travaillé comme éducateur spécialisé dans ce même Institut, du 1er septembre au 8 octobre 74, dans l’un des autres Pavillons, auprès de jeunes adultes âgés de 18 ans à plus de trente ans. J’en avais moi-même tout juste 28.

Mais que veut dire l’âge dans une institution où certains pensionnaires, âgés de trente ans et plus(l’âge des bâtiments), ont des corps de garçonnet et un âge mental de sept ans ? Et que peut signifier la notion d’espace, de temps et d’identité, d’époque ou de moment, quand celui-ci donne l’aspect de petits vieillards à des enfants de dix ans ! Quand l’espace arbore des têtes d'enfant sur des corps de vieillards, et des têtes de bête sur des p’tits corps d’enfants, que signifie l'expansion de l'Univers, quand l’espace et le temps se tissent de grands maux sans grand remède, avec des petits laids difformes et de grands et de beaux jeunes hommes munis de cervelles d’oiseau ?

Et pourquoi, pourquoi mon Dieu, ces enfants oiseaux avec des cerveaux reptiliens, et ces petits reptiles dénudés qui longent les couloirs en donnant de la voix comme on se donne au diable ? Que signifient ces mélanges de corps vautrés et de chairs voutés, cette variété de formes que l’on hésite même à reconnaître comme humaines tellement elles nous sidèrent ou nous inquiètent ?

(...)

Après une phase intermédiaire pour consulter mon généraliste, obtenir les autorisations nécessaires et me préparer mentalement à affronter le plus horrible, comme le meilleur du pire, j’entrais le 15 octobre au Pavillon des Anges pour une période de trois mois.

Ma propre saison en enfer, pour reprendre l’expression métaphorique dont Rimbaud fait usage, dans son texte Une saison en enfer, date d’il y a bientôt quarante ans, trente-sept exactement.

Accompagné par le psychiatre responsable des admissions, j’arrivais au Pavillon des Anges aux environs de quatorze heures.

Dès mon arrivée en voiture, franchissant pour la première fois les grilles et les portes fermées, emporté par le rythme des journées, des horaires avec leurs rituels se voulant rassurants, un infirmier m’accueille.

Cela semble être le moment de la sieste, les pensionnaires en vadrouille sont rares, quelques bruits de portes, quelques cris ébranlent le silence blanc.

Se saisissant de la petite valise de carton brun dans laquelle j’avais jeté quelques vêtements et deux ou trois babioles, il me conduit par le bras jusqu’à une petite pièce ayant cette double fonction de « Salon de coiffure » et de dépendance de la buanderie.

Là, un barbier-coiffeur, prend l’initiative, en raison de la peur qui régnait au pavillon, quant aux poux et autres parasites de l’humanité, de me couper les cheveux plus courts qu’à l’armée,

Ce fut le jour de la fin de mes longs cheveux de poète, symbole depuis mai 68, de mon indépendance et de mes résistances aux normes institutionnelles.

Par immersion, boucle après boucle, mèche après mèche, une partie de moi-même partait se dissoudre dans le grand tout. Je sais que la toison ne fait pas l’homme, mais elle couvre une partie de ses pauvretés ; d’autant plus que je tenais beaucoup à ma crinière d’artiste ; ce fut un second déchirement et un premier commandement : « Tu ne porteras plus de cheveux longs. »

(...)

Pour supporter cela, je me récite quelques vers,comme on respire un grand bol d'air frais.

« Mon unique culotte avait un large trou. Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course des rimes... »

J'égrène Rimbaud, j'égrène Villon et Artaud…,

Donnez-moi, mon Dieu la douce folie des poètes maudits !Partagez avec moi, mon Dieu votre propre folie et la puissance de vos mots de bénédiction pour apaiser mes maux.

(...)

On peut s'interroger sur ma présence parmi les Anges, sur sa valeur symbolique et expérimentale, mais quand un poète se fait « Voyant », ne se fait-il pas aussi « voyeur » ?

Je crois sincèrement que oui, car le « Je est un autre », de Rimbaud, suppose une certaine dépossession de soi, et un regard lucide sur lui-même, sur sa propre folie; et en même temps, cet « autre » dit un regard dédoublé, comme la vision que nous avons de nous dans un miroir plus ou moins brisé, en fonction de nos propres fragmentations, de ces blessures qui suivent la courbe de la lumière.

Par « un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens », Arthur le visionnaire, entre sa dix-septième et sa dix-neuvième année, a connu l’inconnu. C'est ainsi qu'il a vraisemblablement approché de lui-même le mystère de la déraison et de ses dérèglements du corps et de l’esprit.

S’armant « contre la justice », Arthur fugue, il s’enfuit à sa manière de sa matière il fugue… au loin, confiant son esprit et tout son trésor aux vents de la folie. Parvenant même « à faire s’évanouir dans (son) mon esprit toute l’espérance humaine ». Faisant « le bond sourd de la bête féroce », comme je fis le grand écart, en quittant la sécurité pour retrouver l’essence même d’une expérience maudite.

« Sur toute joie pour l’étrangler », appelant « les bourreaux, pour, en périssant, » pour « mordre la crosse » de l’Évêque. Comme j’ai moi-même appelé mes bourreaux pour croquer le goupillon de l’infirmier. Mais cette soudaine conviction prouve que je rêve encore !

« Gagne la mort avec tous tes appétits » de savoir, de retrouver ce moment perdu, « et ton égoïsme et tous les péchés capitaux »

Mon Dieu, toi le maître des Séraphins, et vous « Cher Satan », porteur de lumière et d’ombres, chef des Anges, Ange parmi les Anges déchus de leur nid, « je vous en conjure » et je vous l’écris en des lettres de sang et de mémoire, et en ces quelques vagues souvenirs puisés dans mon journal de damné, parmi les Anges alités et les Saints hallucinés.

Le passage entre les deux n’étant qu’une étroite trouée ; si les jeunes schizophrènes savent les failles par lesquelles passent infailliblement les voix qu’ils entendent leur parler, je n’ai, semble-t-il écouté que la voix de ma propre quête.

(...)

Existe-t-il une vie derrière les vitres du Pavillon bleu ? Il y a-t-il une vie meilleure en des ailleurs possibles derrière les grilles et les portes closes ? Existe-t-il autre chose que la singularité dans ce monde du dedans, et la monstruosité y est-elle plus grande qu’à l’extérieur du Pavillon ?

Pour le savoir, il me faut ouvrir le regard avant même de franchir le seuil du bâtiment. M’y préparer comme on s’apprête à franchir les profondeurs de l’humain, ou les plus hauts sommets extra-terrestres, bien au-delà des 10.000 mètres au-dessus du niveau du connu et du vécu.

Le pavillon des enfants fous est plein de papillons aux ailes racornies, et de rêves ligotés sur des lits de misère. Il grouille d’enfants plantes et de nudités fugitives comme des ombres, qui passent et repassent tels des fantômes de vivants qui ressemblent à des morts.

(...)

Mais je suis là en immersion, comme l'un des leurs, par ma propre volonté, avec la bénédiction de la direction. Jeune fou parmi les fous, monstre parmi les monstres, car personne ici dans le personnel du Pavillon ne connait ce secret.

Autour de moi, des yeux me cherchent et me fuient en même temps. Je peux sentir la peur et l’attraction, la colère et la tristesse, des états d’âme qui s’ouvrent comme des puits insondables sur l’univers infini de l’irraisonnable.

Ce sont des yeux profonds et noirs comme des stations de métro.

Avec quelles douceurs peut-on taire cette frayeur qui imprègne toutes les surfaces des lieux comme d’une couche de rétine de chien battu ?

Avec quels mots peut-on apaiser cette stupeur d’être enfermé de l’intérieur ? De quel lien faire usage pour entrer en relation avec ces enfants hallucinés, dans cet antre dégoulinant d’urine froide ?

De quelle perte, de quel manque sont-ils les fruits ? De qu’elle aliénation sont-ils les sujets et de quel enfermement sont-ils l’objet ? Tous les services de pédopsychiatrie connaissent ces regards pleins d’angoisse, il en est de même chez ces jeunes adultes du Pavillon des Anges. Ici, immergé avec eux dans l’enfer de la folie, de quelle folie peut-on faire l’Éloge, quand tout autour de nous, le bruit permanent des clefs qui tournent le plus souvent dans le sens des aiguilles d’une montre y ferme l’horizon ?

(...)

Certains enfants d’ici, qui vivent comme des plantes, ont-ils de la sève semblable à ce pur mimosa que l’on dit Mimosa pudica, cette sensitive qui rampe partout ici comme des vers nus ?

Comme ces feuilles qui ont la particularité de se replier au moindre choc, les enfants du pavillon des Anges se calfeutrent au moindre passage de l’infirmier comme sous l’effet du vent ; ils se recroquevillent devant la pluie des douches, et sous le moindre toucher, frissonnent et se contractent ou se rétractent en boule ; ils sont des enfants trop sensibles ! Ce que dans les spécialistes dans leur jargon botanique appellent savamment des végétaux séismonastiques ou thigmonastiques, selon.

C’est ce mouvement de fermeture et de repli qui leur permet de se protéger des prédateurs et des intempéries. Un enfant couvert d’excréments et replié sur lui-même comme un petit hérisson, droit comme des sureaux, agités comme des draps souillés dans le vent du matin, piquant comme le houx, est beaucoup moins appétissant qu’un fruit mûr et qu’une chair bien fraîche offerte aux seringues des ogres blancs.

Cette herbe mamzelle est-elle hallucinée ou hallucinogène ? La honteuse femelle est-elle androgyne comme beaucoup de ses enfants perdues ? Marie-la-honte connait-elle la honte crue ? Pour « tromper la mort » comme on le raconte sur l’île de La Réunion, les fous sont-ils si fous qu’on le dit ?

Ces enfants au feuillage persistant, aux écailles dures et jaunes comme l’ongle du fumeur, au derme doté de poils émoussés, à la peau écaillée ou teintée comme à l’épreuve du temps.

Tout ce petit monde, au Pavillon des Anges, participe à une chorégraphie sans nom, autour d’une scénographie que la folie seule aménage selon sa propre sagesse. Cette sorte de mélodrame misérabiliste est là pour tromper la vigilance des veilleurs.

Car s’ils ont tous le même visage endormi, en eux, la vie ne dort jamais !

Ils sont de cette espèce qui ferme ses feuilles la nuit pour mieux griffer le jour les peintures des murs, arracher le papier des murs pour voir s’ils cachent quelque porte. Mais, une fois le calme revenu au Pavillon, les feuilles reprennent leur port et les Anges paraissent s’y reposer.

(…)

C’est tout le drame de ces enfants qui sont officieusement « morts »

Migrants clandestins, d'institution en institution; la plupart des habitants du Pavillon sont là depuis leur prime enfance; d’un service à l’autre, ils parcourent les couloirs d’un pavillon vert à ceux d’un pavillon bleu ; ils ont migré, enfant d’une longue transe humaine, bébés voyageurs, étranges formes vêtues d’ombres. Placés par des familles en souffrance, puis déplacés par des spécialistes en blouses blanches, chenille du voyage, papillons en chemin, ils ne connaissent de l’extérieur que ce léger courant d’air qui passe sous les portes.

Que de variation en cette homo diversité, de nœuds dans les neurones.

L’un de ceux-là se nomme l’institutionnite ; l’institutionnite, c’est quand vous avez une brique dans le ventre, un pavillon dans la mémoire et quelque poudre de mortier entre lobes et scissures.

À l’extérieur du Pavillon bleu, les gens souffrent aussi d’institutionnisme aiguë, mais sans le savoir ! Maladie chronique et incurable, que d’autres qualifieraient d’intégration ou d’adaptation institutionnelle, relevant d’un processus ordinaire de normalisation.

Mais moi, pauvre diable parmi les Anges, je sais combien la famille, l’église, l’école, l’armée, la police… ont laissé leurs empreintes grasses dans la chair et dans l’esprit de beaucoup de ceux du dehors !

Mais, par principe, par orgueil, par peur…, tout le monde fait semblant que c’est normal, et comme tout le monde veut donner l’apparence de la normalité, on finit par y croire ! C’est tout le malaise d’une institutionnalisation de l’institution.

(…)

Pourquoi ce clone de Quasimodo, ce môme bossu comme un pauvre diable, gratte-t-il le carrelage moucheté comme on gratte un Win For Life pour gagner la vie en rose ?

Quel secret peut-il percer avec ce qui lui reste d’ongle, que voit-il dans les signes et les salissures de la salle de bain ? Grand perdant d’une loterie génétique, Jean-Pierre ne cesse de gratter des symboles gagnants que lui seul peut percevoir.

Il n’a de cesse, ruinant ce qui lui reste de force, de percer le voir, de trouer l’apparat des apparences, de gratter à la folie pour découvrir quelque trace d’un chemin perdu, traverser à coup de griffes le miroir du temps, gratter à sang le pavage froid qui en devient brulant ; là où je ne vois que de mauvais signes, Jean-Pierre semble discerner du bout des doigts, comme le non-voyant s’imprègne de Braille, les voies impénétrables d’un atlas qui m’échappe ?

À l’observer durant des heures, « Ça me fait quelque chose » comme le chantait la Môme Piaf ; ça me fait mal, et en même temps ça me fascine !

Devant cet être agenouillé, assumant son rituel avec conviction, comme on assume une fonction sacrée, tout comme l’entomologiste passionné, découvrant une nouvelle sorte de lépidoptère, je me sens moi-même métamorphosé en grande compassion ...

Par moment, J.P cri à tue-tête comme s’il venait de mettre la phalange sur quelques secrets plus grands encore. Il m’émeut, me touche profondément. J’ai pour lui de la reconnaissance, car l’air de rien, il m’enseigne sur mes propres voies et me montre le chemin !

Jean-Pierre dans sa recherche éperdue, me renvoie à ma propre quête de sens, à ma propre enquête identitaire, à ma propre déraison d’être là parmi eux, pour trouver le chemin de ma très sainte Quête du Graal : l’expérience des expériences, vécue en ce voyage aux frontières de la vie, vingt ans auparavant.

Comme lui, je quémande l’expérience interdite, je sollicite le ciel, dans l’embrasement de mes neurones, dans cet enfermement, je prie l’enfer de m’ouvrir ses voies pavées de bonnes attentions, je crie après l’expérience en ce laboratoire hallucinatoire (…)

Comme Rimbaud, j’hallucine l’alphabet, comme Schumann je cherche à capter la voix des Anges dans les litanies de mon voisin de lit ; et comme Baudelaire, je m’imprègne des odeurs hallucinogènes des médicaments et des produits de désinfection.

(…)

Simon me raconte qu’il recherche "le premier maillon de la chaîne" ; à deux mains et deux moignons, il passe et repasse devant moi. Il traverse la pièce, tourne sur lui-même, se couche sur le dos, le regard fixé sur le plafond, frappant des deux mains en riant, comme pour applaudir l’envol d’un oiseau bleu.

Parce que Simon aime le bleu comme d’autres résidents aiment se taper la tête au mur en pleurant après un être absent, ou à cause de cette occulte présence qui leur demande de se frapper.
Il est bien difficile de définir s’il s’agit de l’un ou de l’autre !

Simon n’a jamais été amputé, il est né comme ça avec des moignons de membres inférieurs qui ressemblent à des demi-bras avec lesquels il est fort adroit pour se déplacer, comme une demi-lune n’enlève rien à l’identité et aux capacités lumineuses de l’astre lunaire.

Au sol, chacun de ses gestes semble viser à retrouver quelque chose de lui, quelques pièces perdues dans " un piège à voyage " ; il paraît vouloir rassembler dans ses bras nus, comme dans un grand filet imperceptible, d’imperceptibles morceaux d’un puzzle de son être. Là où chez Simon l’être et l’étron se confondent, il semble confondu quand il s’oublie dans les couloirs.

Certains patients ont des trous de mémoire, Simon à des « Trous d’étron », qu’il décrit avec beaucoup d’adjectifs, comme d’étranges « trous noirs à matière fécale ». Lui qui en 18 ans d’existence, n’a jamais ouvert un livre, et en particulier un ouvrage d’astrophysique, il se montre très savant pour raconter les grandes constellations de merdes célestes, et révéler à qui veut bien l’entendre, les sidérants voyages intersidéraux des « 40 voleurs d’organes ».

« Je ne voulais pas ! »

Hurle-t-il à plusieurs reprises, au point d’attirer l’attention d’un infirmier, comme la peur attire le chien.

Il s’accroche à ma jambe et me fait mal !

Ils ont profité de son coma pour réaliser ce prélèvement d’une partie de lui-même, et faire ainsi un don d’organes à l’un des leurs, et pour lui transplanter simultanément un organe étranger qu’ils ont rivé dans sa poitrine au niveau de son âme. là où Simon sent comme le happement d'un chien-loup.

« Je ne voulais pas ! »

Il n’était pourtant pas donneur, ni receveur volontaire, mais c’est comme ça ! Simon comprend ; les quarante marchants de rêves ne doivent pas arrêter de marcher, sinon ils perdent dans cette inertie leur pouvoir de rêver et de voler.

« Mes poumons sont pleins de crottes », dit-il, en me faisant comprendre que ses organes ont justement été mis à la disposition de l'un de ces marchands – Je peux comprendre que seuls ses poumons sont restés là ! Parce qu’ils étaient pleins d’étrons et que « ça » n’intéressait pas ces fameux « marchands de rêves.»

Les « marchands de rêve » marchent sur les rêves des patients, comme les funambules traversent les vestibules sur

" le fil des pyjamas de coton bleu".

(…)

Il est déjà tard, les lumières viennent de s’éteindre. Seules restent allumées quelques veilleuses et l’un ou l’autre veilleurs en blouse blanche.

C’est pour nous l’heure de dormir du sommeil des Anges ; de descendre plus profond encore aux royaumes du repos, celui des neuroleptiques. Mais avec mes placébos, le combat contre l’insomnie n’est pas équilibré. Déjà montent les ronflements, pour plusieurs frères de souffrance, le marchand de sable est déjà passé.

Mais plus loin dans les couloirs vides, la radio du personnel soignant diffuse une chanson de Maurice Chevalier.

« Dans la vie, faut pas s'en faire, moi je ne m'en fais pas - toutes ces p'tites misères seront passagères, tout ça s'arrang'ra. »

Comment arranger les choses, et aménager l’irréversibilité de ma présence dans cette chambre d’angoisse ?

« Tout ça s’arrangera », mais personne ne me croira, personne ne comprendra cette folle démarche, ce défi de franchir le pas, cet élan pour passer de l’autre côté du miroir. Même l’Alice de Lewis Carroll, malgré sa passion d’histoires ne croira pas la mienne ! Les aventures Au pays des merveilles, le chapelier fou…, tout ça c’est du roman ! Ma réalité au Pavillon des Anges dépasse de beaucoup la fiction.

« Tout ça s'arrang'ra », et Dieu dans tout ça ?

Entre la puissance de la dérision et l’impuissance de la guérison, tout ça rime ; « Tout ça s'arrang'ra », je ricane, tout est tellement incongru, surréaliste, dantesque ! Puis je me mets à rire tout seul, et mon esprit s’évade un instant avec les cris stridents de ces enfants assistés à vie.

« Je n'ai pas un caractère à m'faire du tracas, croyez-moi, sur terre faut jamais s'en faire, moi je ne m'en fais pas... »

Que possède le possédé que je ne possède pas ? Ma pensée se déploie dans un grand déballage de questions, de raisonnements irraisonnables.

« Tout autre que moi se serait dit: je vais me faire sauter la cervelle, me suicider d'un coup d'couteau, m'empoisonner, me fiche à l'eau, enfin des morts bien naturelles. »

J’entends les paroles de la chanson et en même temps, je suis confronté à cette réalité. On ne passe pas par l’initiation, on ne traverse pas la porte de la vie, on n’expérimente pas une libération sans en payer le prix. Tout aspect libératoire à ses aspects contradictoires, ses effets secondaires, paradoxaux…

« Mais voulant finir en beauté, je me suis tué à répéter : Dans la vie, faut pas s'en faire, moi je ne m'en fais pas - toutes ces p'tites misères seront passagères, tout ça … »

Alors, je me confesse d’une saison en folie, de mes petites misères, de cet intervalle spatiotemporel dans ma vie de jeune homme. Je me confesse à cœur meurtri de ma rencontre avec la démence, de mes accointances avec le délire et le crétinisme ; de la folle frénésie de ces enfants de la vie, de mes propres pertes de raison et de mes propres aberrations.

J’extravague moi-même le regard à moitié halluciné, avec en moi, une belle connivence qui se voudrait bienveillante.

Dieu fait des chemins bien droits, dit-on, avec nos lignes courbes ; mais là, je vois bien qu’avec des ratures et des brisures d’homme, avec des lignes fragmentées, il tente de produire quelque chose d’autre comme un drôle de rêve.

La Parole ne dit-elle pas que ce qui est fou pour les hommes n’est que sagesse pour les dieux ! C’est bouleversant de voir ces victimes de l’évolution, ces créatures de Dieu à part entière.

Et c’est bien connu des Saints, Dieu ne fait pas de la monstruosité pour rien ! Il ne s’amuse pas de nos laideurs ; Il ne crée pas de l’originalité pour engendrer de la souffrance ; Il monstre ceci pour démonstrer cela ! Mais quoi ?

Je ne suis pas bien dans ma peau, je doute ! Ma démarche est-elle juste et responsable ?

(…)

Pieds et poings liés, rien ne les empêche de rêver !

C’est un véritable choc, comme quand on regarde sous une chape de silence pour discerner une enveloppe de cris ; ou que l’on rêve que l’on lève lourdement un couvercle de plomb, pour découvrir une colère qui est elle-même l’écho d’un gros lot de tristesse. Ces vies bien dramatiques sont là pour naître à quelque chose, mais à quoi ? Pourquoi ? Quelle est la logique aberrante de la vie ? Mon regard avec la distance des ans, même après trente ans de recul n’en sait toujours rien.

À travers eux, c’est toute la folie et le génie d’Artaud, de Nietzsche et de Camille Claudel qui me crie quelque chose à comprendre, mais je ne comprends rien !

C’est un incontestable choc, comme quand on regarde et pénètre un tableau du Maître Goya.

Alors, tout naturellement, emporté par le flot des larmes, je me laisse aller à penser aux traumatismes de ma propre histoire personnelle, aux êtres que j’ai aimés dehors, et surtout mal aimés dedans, en ces prise de conscience, comme on accouche d’un électrochoc, j’ai le sentiment de m’engendrer.

Pour m’endormir, je me plonge dans une prière qui semble un instant apaiser mon esprit et mon cœur. Je fait oraison dans les cris et je médite en silence sur la condition humaine, sur toutes les raisons qui orientent ma démarche, saisir l’âme des Anges, comme meilleure raison d’être là, dans les extrêmes, je me plonge dans une confession sans fin, pour essayer d’arrêter d’avoir peur, trouver le sommeil dans cette quête de vérité et de réalité… Mais, dans cette recherche des mots justes qui collent aux véritables maux, je m’égare davantage !

Il y a une grande fracture physique et psychologique, comme une rupture spirituelle entre le dedans et le dehors. Un grand espace schizophrénique qui ressemble aux spires qui séparent le paradis des enfers de Dante.

Tout cela ne serait-il qu’illusions ? Mirages de Pavillons bleus ?

J’ai le sentiment que je ne suis pas digne d’être là, parmi les rétracté de l’existence, pas digne de partager leurs maux en ces effractions d’humanité ; et pas digne de fréquenter ces grands voyageurs de l’intérieur…

Habités par leur esprit mauvais, ils hurlent la nuit à moins que la nuit elle-même ne se raconte des histoires en hurlant dans l’opacité même des Anges ? Les positions de démence de ces corps profanés me rejoignent en mes positions de défense, en toutes mes justifications.

(…)

Comme on se cherche dans les miroirs, et que l’on recherche dans les choses une forme de mimétisme charnel ou pulsionnel ; me retrouvant en eux, comme eux, je glisse mes mains brulantes sur mon bas-ventre froid, pour réchauffer la nuit. Passant d’une posture qui convenait très bien à la prière, je me retrouve en posture d’indécence; caméléon au pyjama défait, ébouriffé par l’agitation, je veux tout essayer de leurs gestes, de leurs sentiments, pressentiments et ressentiment, pour les rejoindre fusionnellement dans une forme de solidarité des êtres , et pulsionnellement dans cette grande communion de l’intime,

Alors, mes mains se font plus agiles qu’une bête affamée, je me laisse envahir d’un frissonnement nu. Voulant apaiser mon esprit et mon cœur pour trouver le sommeil, en vain, je me suis plongé dans une prière ardente ; mais rien n’apaise mieux les pulsions d’un corps tendu à l’extrême que de laisser jaillir le trop-plein ; frénétiquement, dans le couinement triste des lits côte à côte scellés ; je lâche le cri bref et aigu qui délivre comme s’il ouvrait une brèche lumineuse dans l’espace du Pavillon. Je suis essoufflé, désarçonné, honteux, mais heureux dans ma tête et mon lit tout défaits.

Comme certains animaux sauvages, peuvent crier sur un ton plaintif, et bramer à la pointe du son, dans une seule et même unique convulsion de tout le corps, dans l’attente de la délivrance, j’expire ; les mains gluantes de la quiétude heureuse des Anges rassasiés, je peux enfin m’endormir. En être pleinement incarné, je sais que le bonheur n’est pas là, que ce n’est pas ça du tout, mais « ça » y participe pleinement !

La vie, ne commence-t-elle pas toujours par une semence de quelque chose ! Un bien-être s’installe comme s’éparpillent les tensions brulantes dans l’espace-temps, nébuleuses nées d’une Voie lactée.

Dehors, au travers des vitres sales, des grilles rouillées et de quelques nuages gris, je peux discerner les étoiles briller au loin, comme jamais avant ce jour d’enfermement.

Remède des caresses, douceur mi-violente des grands frissons bleus, pharmacopée à portée de main ; je n’avais jamais voyagé aussi près des nuages auparavant ; c’est un nouveau soir, un nouveau départ pour un nouveau matin.

(…)

Comme le témoin d’un attentat souffre d’être encore là après le séisme des intestins à l’air, des têtes coupées ou des corps ravagés, et se culpabilise d’être un survivant parmi les quelques rescapés, je me sens seul et vide, ensanglanté, labouré par une peur épidermique, comme trempé de tout mon être dans un bain d’angoisses complexes. Mais suis-je encore vraiment vivant ? Ne suis-je pas mort en cet été 48, à la frontière folle de la vie ? Et puis, pour retrouver la réalité de cette expérience de Vie imminente, de cette expérience folle de Vie approchée, avec ces folles sensations d’un au-delà des sensations, en cet éblouissant vécu d’un au-delà du vécu, dans cette soi-disant mort clinique, avant que le souffle chaud du vent ne me réanime.

Comme pour réparer symboliquement l’irréparable, quel prix me faut-il payer pour retrouver cela ; pour aller jusqu’au bout de ma quête, du rêve et de la réalité du rêve, c’est bien en quoi cette autobiographie n’est pas imaginaire, puisqu’elle est « inimaginaire » ou simplement inimaginable !

Quel est l’envers du décor ? Quel génie fou se cache là ? Jouant un cache-cache monstrueux ? Un cache-cache amoureux de monstrations ? Quelle forme de pensée occulte trouve-t-elle asile derrière le mutisme de la majorité des Anges ?

Comme les formes cubistes d’un Picasso taisent la pensée profonde du créateur, qu’il y a-t-il derrière ces jeux de la nature, dans l’ombre fuyante de ces fils de succubes ou d’incubes, qui sait ? Quel secret de famille se cache derrière ces miséreux d’aspect, ces innocents acéphales aux mains pleines de merde, ou de ces hydrocéphales trop pleins de rêves lactescents. Il y a-t-il là, une ombre huileuse qu’il nous faut crever, afin de laisser jaillir la lumière ?

Que peut-on trouver derrière la logique de ces difformités, derrière la vitre de ses yeux fous, et au-delà des apparences de la maladie ?

Quelles divinités se dissimulent derrière la nullité de ses corps atrophiés, tortueux comme des humains, et à quel dieu nul se vouer, quels sont les esprits qui se lovent à l’extrême des chairs en des paradis ténébreux ?

Ces victimes d’histoires noires connaissent-elles la désespérance ? Quelle est leur véritable conscience d’être ou d’exister ? Ont-ils cette très grande peur qui me prend au ventre durant la nuit et dès le réveil ? Conjuguent-ils ces mêmes contradictions et cette ambivalence qui m’étreint comme le bourreau vous prend à la gorge ? Je l’ignorais et je l’ignore encore aujourd’hui après trente années de recherche.

Après un demi siècle, je n’ai toujours pas retrouvé Le Graal de 58, mais au travers des mots, au-delà des formes et des couleurs, je le cherche encore.

(…)

Le Pavillon des Anges (extraits)

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