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■ Voir son épouse pleurer
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2011-06-05 | | Inscrit à la bibliotèque par Dolcu Emilia Quand ma résolution de vivre ainsi fut prise, je cherchai mon logis dans les quartiers les plus déserts de Paris. Un soir, je revenais de l’Estrapade ; et, pour retourner chez moi, je passais par la rue des Cordiers. À l’angle de la rue de Cluny, j’aperçus une petite fille d’environ quatorze ans, qui jouait au volant avec une camarade. Leurs rires et leurs espiègleries amusaient les voisins. Il faisait beau, la soirée était chaude, le mois de septembre durait encore. Devant chaque porte, il y avait des femmes assises et devisant comme dans une ville de province par un jour de fête. Je remarquai d’abord la jeune fille dont la physionomie était d’une admirable expression ; et le corps, tout posé pour un peintre ; c’était une scène ravissante. Puis, cherchant la cause de cette bonhomie au milieu de Paris, je remarquai que la rue n’aboutissait à rien, ne devait pas être très-passagère. Je me souviens du séjour de J.-J. Rousseau dans cette rue, je la regardai, j’aperçus l’hôtel Saint- Quentin ; et l’état de délabrement dans lequel il se trouvait, me faisait espérer d’y rencontrer le gîte peu coûteux que je désirais, je voulus le visiter. En entrant dans une salle basse, je vis les classiques flambeaux de cuivre garnis de leurs chandelles et méthodiquement rangés au-dessus de chaque clef. En cherchant la maîtresse de l’hôtel, je fus frappé de la propreté qui régnait dans cette salle, ordinairement assez mal tenue partout. Elle était peignée comme un tableau de genre, et les ustensiles, les meubles, le lit bleu avaient la coquetterie d’une nature de convention. Une femme de quarante ans environ se leva. Il y avait des malheurs écrits dans ses traits. Je lui soumis humblement le tarif de mon loyer. Elle n’en parut point étonnée, et chercha seulement une clef parmi toutes les autres. Alors, elle me conduisit dans les mansardes de sa maison et m’y montra une chambre, qui avait vue sur les toits, sur les cours obscures des hôtels garnis du voisinage, et par les fenêtres desquelles passaient de longues perches chargées de linge… Rien n’était plus horrible. Cette mansarde aux murs jaunes et sales sentait la misère et appelait un savant. La toiture s’abaissait irrégulièrement et les tuiles disjointes y laissaient voir le ciel… Il y avait place pour un lit, une table, quelques chaises ; et, sous l’angle obtus du toit, je pouvais loger mon piano. N’étant assez riche pour meubler cette cage digne des plombs de Venise, la pauvre femme n’avait jamais pu la louer. Or, ayant précisément excepté, de la vente mobilière que je venais de faire, les objets qui m’étaient en quelque sorte personnels, je fus bientôt d’accord avec mon hôtesse, et le lendemain je m’installai chez elle. Je vécus dans ce sépulcre aérien pendant près de trois ans, travaillant nuit et jour sans relâche, avec tant de plaisir que l’étude me semblait être le plus beau thème, la plus heureuse solution d’une vie humaine… Le calme et le silence nécessaires au savant, ont je ne sais quoi de doux, d’enivrant comme l’amour. L’exercice de la pensée, la recherche des idées, les contemplations tranquilles de l’esprit donnent d’ineffables délices, indescriptibles comme tout ce qui participe de l’intelligence dont les phénomènes sont invisibles à nos sens extérieurs ; aussi, sommes-nous toujours forcés, en parlant de l’esprit, de nous adresser au corps. Ainsi, le plaisir de nager dans un lac d’eau pure, au milieu des rochers, des bois, des fleurs, seul, caressé par une brise tiède, donnerait aux ignorants une bien faible image du bonheur que j’éprouvais quand mon âme était baignée dans les lueurs de je ne sais quelle lumière, quand j’écoutais les voix terribles et confuses de l’inspiration, quand les images ruisselaient d’une source inconnue dans mon cerveau palpitant. Oh ! voir une idée pointant dans le vide des abstractions humaines comme le lever du soleil au matin, s’élevant comme lui, jetant des rayons ; ou mieux encore, enfant, adulte, homme et bien exprimée, bien vivante… est une joie égale aux autres joies terrestres ou plutôt un divin plaisir. Puis l’étude revêt de sa magie tout ce qui nous environne. Le bureau chétif sur lequel j’écrivais et la basane brune dont il était couvert, mon piano, mon lit, mon fauteuil, les bizarreries de mon papier de tenture, mes meubles, tous devinrent pour moi d’humbles amis, les complices silencieux de mon avenir… Que de fois, en les regardant, je leur ai communiqué mon âme !... Souvent, en laissant voyager mes yeux sur une moulure déjetée, je rencontrais des développements nouveaux, une preuve frappante de mon système ou des mots que je croyais heureux pour rendre des pensées presque intraduisibles… À force de contempler ces objets, je leur trouvais une physionomie, un caractère, ils me parlaient souvent. Si, par-dessus les toits, le soleil couchant me jetait à travers mon étroite fenêtre une lueur furtive, ils se coloraient, ils avaient des caprices, ils pâlissaient, brillaient s’attristaient ou s’égayaient, me surprenant toujours par une multitude d’effets originaux… Ces menus accidents de la vie solitaire échappent aux préoccupations du monde, mais ils sont la consolation des pionniers. Or, j’étais emprisonné par une idée, captivé par un système, mais soutenu par la perspective d’une vie glorieuse. Aussi, à chaque difficulté vaincue, je baisais les mains douces et polies de la femme aux beaux yeux, élégante, riche, qui devait un jour caresser mes cheveux en me disant avec attendrissement. - Tu as bien souffert, pauvre ange!... J’avais entrepris deux grandes œuvres. D’abord, une comédie. Elle devait me donner, en peu de jours, une renommée, une fortune, et l’entrée de ce monde où je voulais reparaître en homme remarquable. Vous avez tous trouvé mon chef-d’œuvre, une véritable niaiserie d’enfant, la première erreur d’un jeune homme qui sort du collège… Vos plaisanteries ont détruit de fécondes illusions, qui depuis, ne se sont plus réveillées. Mais, toi seul, mon cher Émile, a calmé la plaie profonde que d’autres firent à mon cœur. Tu admiras ma Théorie de la volonté… ce long ouvrage, pour lequel j’avais appris les langues orientales, l’anatomie, et auquel j’avais consacré la plus grande partie de mon temps, œuvre qui, si je ne me trompe, doit compléter les travaux de Lavater, de Gall, de Bichat, en ouvrant une nouvelle route à la science humaine… Là s’arrête ma vie, cette vie secrète, ce sacrifice de tous les jours, ce travail de ver-à -soi inconnu au monde, et dont la seule récompense est peut-être dans le travail même. Depuis l’âge de raison jusqu’au jour où j’eus terminé ma Théorie, j’ai observé, appris, écrit, lu sans relâche, et ma vie fut comme un long pensum. Amant efféminé de la paresse orientale, amoureux de mes rêves, sensuel, j’ai toujours travaillé, me refusant à toutes les jouissances de la vie. Gourmand, j’ai été sobre. Aimant et la marche et les voyages maritimes, désirant visiter plusieurs pays, trouvant encore du plaisir à faire, comme un enfant, ricocher des cailloux sur l’eau, je sus rester constamment assis, une plume à la main. Bavard, j’allais écouter en silence les profeseurs aux Cours publics de La Bibliothèque et du Museum. J’ai dormi sur mon grabat solitaire comme un religieux de l’ordre de Saint-Maur, et la femme était la seule chimère, une chimère que je caressais et qui me fuyais toujours Enfin ma vie a été une cruelle antithèse, un perpétuel mensonge. Jugez donc les hommes !... Parfois tous mes goûts naturels se réveillaient comme un incendie longtemps couvé. Alors, par une sorte de mirage ou de calenture, je me voyais, moi, veuf, dénué de tout et dans une mansarde d’artiste, entouré de femmes ravissantes ; je courais à travers les rues de Paris, couché sur les mœlleux coussins d’un brillant équipage, j’étais rongé de vices, plongé dans la débauche, voulant tout, ayant tout. J’étais ivre, à jeun… C’était la tentation de saint-Antoine. Puis le sommeil engloutissait heureusement toutes ces visions dévorantes. Le lendemain la science m’appelait en souriant, et je lui était fidèle. J’imagine que les femmes dites vertueuses doivent être souvent la proie de ces tourbillons de folie, de désirs et de passions qui s’élèvent en nous, malgré nous. Ces rêves ne sont pas sans charmes. Ils ressemblent à ces causeries du soir, en hiver, quand on part du foyer pour la Chine. Mais qu’est-ce que devient la vertu ?... |
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