agonia francais v3 |
Agonia.Net | Règles | Mission | Contact | Inscris-toi | ||||
Article Communautés Concours Essai Multimédia Personnelles Poèmes Presse Prose _QUOTE Scénario Spécial | ||||||
|
||||||
agonia Textes Recommandés
■ Les saisons
Romanian Spell-Checker Contact |
- - -
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2011-04-07 | | Inscrit à la bibliotèque par Dolcu Emilia
Après être resté silencieux pendant un moment Raphaël dit en laissant échapper un geste d’insouciance :
- Je ne sais en vérité, s’il ne faut pas attribuer aux fumées du vin et du punch, l’espèce de lucidité qui me permet d’embrasser en cet insatnt toute ma vie comme un seul et même tableau, où les figures, les couleurs, les ombres, les jours, les demi-teintes, sont fidèlement rendus… Ce jeu poétique de mon imagination ne m’étonnerait pas, s’il n’était accompagné d’une sorte de dédain pour mes souffrances et pour mes joies passées… Vue à distance, toute ma vie est comme rétrécie par un phénomène moral ; et je juge, au lieu de sentir ! Cette longue et lente douleur qui a duré dix ans, peut aujourd’hui se reproduire par quelques phrases, dans lesquelles la douleur ne sera plus qu’une pensée, et le plaisir, une réflexion philosophique… - Tu es ennuyeux comme un amendement !...s’écria Émile. - Cela est possible ! reprit Raphaël sans murmurer. Aussi, pour ne pas abuser de tes oreilles, je te ferai grâce des dix-sept premières années de ma vie. Jusque là , j’ai vécu comme toi, comme mille autres, de cette vie de collège ou de lycée, dont, maintenant nous nous rappelons tous avec tant de délices, les malheurs fictifs et les joies réelles ; à laquelle notre gastronomie blasée redemande les pois rouges du vendredi, tant que nous ne les avons pas goûtés de nouveau… Cette belle vie dont nous méprisons les travaux qui, cependant, nous ont appris le travail… - Arrive au dame !... dit Émile d’un air moitié comique et moitié plaintif. - Quand je sortis du collège, reprit Raphaël en réclamant, par un geste le droit de continuer, mon père m’astreignit à une sévère discipline. Il me logea dans une chambre contiguë à son cabinet. Je me couchais dès neuf heures du soir et me levais à cinq heures du matin. Il voulait que je fisse son Droit en conscience. J’allais en même temps à l’École et chez un avoué. Mais les lois du temps et de l’espace étaient si sévèrement appliquées à mes courses, à mes travaux, et mon père me demandait en dînant un compte si rigoureux que… - Qu’est-ce que cela me fait ?... dit Émile. - Eh ! que le diable t’emporte !... répondit Raphaël. Comment pourrais-tu concevoir mes sentiments si je ne te raconte les faits imperceptibles qui influèrent sur mon âme, la façonnèrent à la crainte, et me firent longtemps rester dans la naïveté primitive du jeune homme... Ainsi jusqu’à vingt-et-un ans j’ai été courbé sous un despotisme aussi froid que celui d’une règle monacale. Pour te révéler les tristesses de ma vie, il suffira peut-être de te dépeidre mon père. C’était un grand homme sec et mince, le visage en lame de couteau, le teint pâle, à parole brève, taquin comme une vieille fille, méticuleux comme un chef de bureau… sa paternité planait au dessus de mes lutines et joyeuses pensées, de manière à les enfermer sous un dôme de plomb… Quand je voulais manifester un sentiment doux et tendre, il semblait que j’allais lui dire une sottise. Je le redoutais bien plus que nous ne craignions naguère nos maîtres d’étude… J’avais toujours huit ans pour lui… Je crois encore le voir devant moi… Il se tenait droit comme un cierge pascal ; et, dans sa redingote marron, il avait l’air d’un hareng saur enveloppé dans la couverture rougeâtre d’un pamphlet… Et cependant j’aimais mon père !... Au fond, il était juste. Mais peut-être ne haïssons-nous pas la sévérité quand elle est justifiée par un grand caractère, par des mœurs pures, et qu’elle est adroitement mêlée de bonté. Si mon père ne me quitta jamais, si, jusqu’à l’âge de vingt ans, il ne laissa pas dix francs à ma disposition ; oui, dix coquins, dix libertins de francs, trésor immense dont la possession si souvent enviée me faisait rêver d’ineffables délices ; en revanche, il me promettait de m’introduire dans le monde ; et, après m’avoir fait attendre une fête pendant des mois entiers, il me conduisait aux Bouffons, à un concert, à un bal, où j’espérais rencontrer une maîtresse… Une maîtresse !... c’était pour moi l’indépendance. Mais honteux et timide, ne sachant point l’idiôme des salons et n’y connaissant personne, j’en revenais le cœur toujours aussi neuf et gonflé de désirs… Puis, le lendemain, bridé comme un cheval d’escadron par mon père, il me fallait, dès le matin, retourner chez mon Avoué au Droit, au Palais. Vouloir m’écarter de la route uniforme qu’il m’avait tracée, c’eût été m’exposer à sa colère ; or, comme une fois pour toutes, il m’avait menacé de m’embarquer en qualité de mousse pour les Antilles, il me prenait un horrible frisson quand, par hasard, j’osais m’aventurer, pendant une heure ou deux, dans quelque partie de plaisir. Figure-toi l’imagination la plus vagabonde, le cœur le plus amoureux, l’âme la plus tendre, l’esprit le plus poétique sans cesse en présence de l’homme le plus caillouteux, le plus atrabilaire, le plus froid du monde ? … Marie une jeune fille à un squelette, et tu comprendras l’existence dont tu m’interdis de développer les scènes curieuses : projets de fuite évanouis à l’aspect de mon père, désespoirs calmés par le sommeil, désirs comprimés, sombres mélancolies dissipées par la musique. Assez fort sur le piano, j’exhalais mon malheur en mélodies ; et, souvent, Beethoven et Mozart furent mes discrets confidents. Aujourd’hui je souris en me souvenant de tous les préjugés qui agitèrent ma conscience à cette époque d’innocence et de vertu. Si j’avais mis le pied chez un restaurateur, je me serais cru ruiné. Mon imagination me faisait considérer le café comme un lieu de débauche où les hommes se perdaient d’honneur et engageaient leur fortune. Quant à risquer de l’argent au jeu, il aurait fallu en avoir… J’étais au bal chez le duc de N ¹, cousin de mon père… Mais, pour que tu puisses parfaitement comprendre ma position, il faut tout avouer. J’avais un habit râpé, des souliers mal faits, une cravate de cocher et des gants déjà portés… Je me mis dans un coin, d’où je dévorais de l’œil les plus jolies femmes en prenant des glaces. .. Mon père m’aperçut ; et, par une raison que je n’ai jamais devinée, tant cet acte de confiance m’abasourdit, il me donna sa bourse et son passe-partout à garder… À dix pas de moi, quelques hommes jouaient, et j’entendais frétiller l’or. |
index
|
||||||||
La maison de la litérature | |||||||||
La reproduction de tout text appartenant au portal sans notre permission est strictement interdite.
Copyright 1999-2003. Agonia.Net
E-mail | Politique de publication et confidetialité