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■ L'hiver
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2010-05-06 | | Inscrit à la bibliotèque par Dolcu Emilia
VIII
-Ha-ha-ha! Mais le vouloir, en fait, si vous voulez, ça n’existe pas! m’interrompez-vous en éclatant de rire. A l’heure actuelle, la science est bien parvenue à disséquer l’homme qu’on sait dès à présent que le vouloir et le soi-disant libre arbitre ne sont rien d’autre que… - Un instant, messieurs ! J’avais moi-même l’intention de commencer ainsi. Je l’avoue : vous m’avez même fait peur. J’allais justement m’écrier, ma foi, que seul le diable sait de quoi dépend le vouloir et ce que c’est, Dieu en soit loué, puis j’ai repensé à la science et … je me suis senti couler. Alors, vous avez repris la parole. Non mais vraiment, si un beau jour on trouvait, pour de bon, la formule de tous nos caprices et vouloirs, je veux dire de ce dont ils dépendent, selon quelles lois ils prennent naissance, comment au juste ils se propagent, vers quoi ils tendent, dans tel ou tel cas, etc., etc. c’est-à -dire une véritable formule mathématique, mais alors, dans ce cas, ma foi, … l’homme cesserait probablement aussitôt de penser, ou même, ma foi, …cesserait certainement de penser. Voyons, quel plaisir y a-t-il à vouloir conformément à une table de calcul ? Et ce n’est pas tout : d’homme qu’il était, il se transformerait sur l’heure en tirette d’orgue ou quelque chose dans ce goût-là ; car qu’est-ce qu’un homme sans désirs, sans volonté et sans vouloir, sinon l’une des tirettes d’un sommier d’orgue ? Qu’est ce que vous en dites, on compte les chances que ça a d’arriver ? - Hum … tranchez-vous, nos vouloirs sont, dans la plupart des cas, erronés, parce que nous voyons notre avantage de façon erronée. Et si nous voulons parfois de pures inepties c’est que nous y voyons, notre bêtise aidant, la voie la plus facile vers l’ascension à l’avantage supputé. Bon, et alors quand on aura tout expliqué, tout réparti mathématiquement sur un bout de papier ( ce qui est très possible, car il serait odieux et insensé de croire d’avance que certaines lois de la nature demeureront ignorées de l’homme), alors, forcément, ce que l’on appelle les désirs aura cessé d’exister. Car si, un jour, le vouloir s’affilie intégralement avec la raison, nous raisonnerons, mais nous aurons cessé de vouloir, pour cette raison, en somme, qu’on ne peut, par exemple, à la fois conserver sa raison, et vouloir des inepties, aller ainsi, en connaissance de cause à l’encontre du bon sens et se vouloir du mal… Et comme tous les vouloirs et tous les raisonnements pourront vraiment être calculés à l’avance, car il arrivera bien, un jour, que l’on découvre les lois de notre soi-disnat libre arbitre, blague à part, on nous établira peut-être quelque chose dans le genre d’une table de calcul, et nous nous mettrons réellement à vouloir conformément à ses chiffres. Par exemple, si l’on me détermine mathématiquement et si l’on me prouve, un jour, que si j’ai fait la figue à Untel, c’est justement que je ne pouvais ne pas la faire et obligatoirement avec tel doigt, mais alors, que restera-t-il en moi de liberté, surtout si j’ai de l’instruction, si j’ai fait des études scientifiques quelque part ? Car, dans ces conditions, je pourrai calculer ma vie trente ans à l’avance ; bref, si cela s’arrange ainsi, mais c’est que nous n’aurons plus rien à faire ! n’importe comment, il faudra accepter. Et puis, en général, nous devons nous répéter san relâche qu’à tel moment et dans telles circonstances, la nature ne nous demande pas notre avis ; que nous devons l’accepter telle qu’elle est et non telle que la rêve notre fantaisie, et que si nous aspirons vraiment à la table et au calendrier, et puis au…. Et puis quand ça ne serait qu’à l’alambic, sinon il sera accepté sans que nous ayons à donner notre avis… - Je vois ! mais voilà justement le hic. Excusez-moi, messieurs, si je philosophaille, songez-y : quarante ans de vie souterraine ! laissez-moi débonder un peu ma fantaisie. Voyez-vous, n’est-ce pas, messieurs, la raison est une bonne chose, c’est indiscutable, mais la raison n’est jamais que la raison et ne satisfait que la faculté raisonnante de l’homme , tandis que le vouloir est la manifestation de toute une vie, je veux dire de toute la vie d’un homme, y compris et sa raison et tout ce qui le démange. Et quoique dans cette manifestation-là , notre vie semble bien souvent ne pas valoir tripette, c’est quand même la vie, et pas seulement l’extraction d’une racine carrée. Tenez, moi, par exemple, tout naturellement, je ne veux vivre que pour satisfaire entièrement mon aptitude à vivre et non pour satisfaire uniquement mon aptitude à raisonner, c’est-à -dire un quelconque vingtième de l’ensemble de mon aptitude à vivre. Que sait la raison ? La raison ne sait que ce qu’elle a eu le temps d’apprendre ( et il y a des choses qu’elle n’apprendra, je crois bien, jamais ; ce n’est pas une consolation, mais pourquoi ne pas le dire ? ), tandis que la nature humaine agit dans son ensemble, avec tout ce qu’elle possède de conscient ou d’inconscient, et bien qu’elle dise faux, elle vit. Messieurs, je vous soupçonne de me considérer avec compassion ; vous me répétez qu’un homme éclairé et cultivé, bref, tel que sera l’homme futur, ne saurait, en connaissance de cause, vouloir quelque chose qui le désavantage, que c’est mathématique. Absolument d’accord : c’est mathématique. Mais je vous le répète pour la centième fois, il y a un seul cas, un seul, où l’homme peut exprès et consciemment désirer quelque chose de nuisible, de bête, de très bête même. Lequel ? Celui d’avoir le droit de se vouloir la chose la plus bête et de ne pas être entravé par l’obligation de ne désirer que des choses intelligentes. Car cette bêtise extrême, ce caprice personnel est peut-être, messieurs, ce que la terre peut véritablement nous offrir de plus avantageux, à nous autres, surtout dans certains cas. En particulier peut-être est-ce le plus avantageux des avantages, alors même qu’il nous fait incontestablement tort et contredit les conclusions les plus saines de notre raison quant au profit, parce qu’en tout cas, il préserve ce que nous avons de plus important et de plus cher, c’est-à -dire notre personnalité et notre individualité. Tenez, il y en a qui affirment que c’est vraiment ce que l’homme a de plus précieux ; naturellement. S’il le veut, le vouloir peut se mettre d’accord avec la raison, surtout s’il n’en abuse pas et ne le fait qu’avec modération ; cela est en même temps utile, voire dans certains cas, digne d’éloges. Mais très souvent, et même dans la plupart des cas, le vouloir s’obstine à demeurer en désaccord total avec la raison et…et… savez-vous que cela aussi, c’est utile, voire dans certains cas digne des plus vifs éloges ? Admettons, messieurs, que l’homme n’est pas bête. ( Et ça vraiment, on ne peut en aucun cas prétendre qu’il l’est, ne serait-ce que pour cette seule raison que s’il est bête, alors qui sera intelligent ?) Mais s’il n’est pas bête, il est monstrueusement ingrat ! Phénoménalement ingrat. Je pense même que sa meilleure définition est la suivante : créature bipède et ingrate. Mais ce n’est pas tout ; ce n’est pas encore son principal défaut ; le pire, c’est son éternelle immoralité, éternelle, depuis le Délude et jusqu’à la période schleswig- holsteinoise des destinées humaines. Son immoralité, et par conséquent son manque de sagesse ; car on sait depuis belle lurette que l’une découle de l’autre. Essayez donc de jeter un coup d’œil à l’histoire de l’humanité ; alors ? Qu’est-ce que vous y verrez ? De la grandeur ! Rien que le colosse de Rhodes, c’est quelque chose ! Ce n’est pas pour rien que, selon M. Anaïevski ¹, les uns soutiennent qu’il est sorti des mains de l’homme et les autres qu’il est l’œuvre de la nature elle-même. De la variété ? Ma foi, va pour la variété ! Rien qu’à démêler les grands uniformes civils et militaires de tous les peuples à travers tous les siècles, rien que ça, ce n’est pas une mince affaire, sans parler des petites tenues des fonctionnaires, parce qu’alors là , le diable lui-même ne retrouverait pas ses petits ; aucun historien n’y résisterait. De la monotonie ? Va pour la monotonie : on ne fait que se battre, on se bat aujourd’hui, on se battait autrefois, on s’est battu après… Vous admettrez que c’est par trop monotone ! En un mot, on peut tout dire de l’histoire universelle, tout ce qui pourrait venir à l’esprit de l’imagination la plus déréglée. La seule chose qu’on ne puisse pas en dire, c’est qu’elle est raisonnable. Le premier mot vous resterait en travers de la glotte. Et voici même ce qui vous arrive tout le temps : dans la vie, à chaque instant, on tombe sur des gens de bonne conduite et raisonnables, des gens, des amis du genre humain qui se fixent précisément pour but de marcher aussi droit, aussi raisonnablement que possible, d’éclairer pour ainsi dire la route de leur prochain, afin de lui prouver, en somme, que l’on peut réellement vivre sagement et raisonnablement sur cette terre. Et alors ? On le sait bie : nombreux sont ceux qui, tôt ou tard, sur la fin de leurs jours, se sont trahis eux-mêmes en engendrant quelque anecdote, parfois des plus scabreuses. A présent, laissez-moi vous demander ce que l’on peut attendre de l’homme, être doué d’aussi étranges qualités ? Comblez-le de tous les biens terrestres, noyez-le dans le bonheur de telle sorte que seules les bulles viennent crever à la surface comme si c’était de l’eau ; accordez-lui une telle abondance économique qu’il n’ait plus rien d’autre à faire que dormir, que manger des gâteaux et pourvoir à la non interruption de l’histoire universelle – eh bien, même là , l’homme, même là , rien que par ingratitude, par malice, il trouvera le moyen de vous jouer un tour de cochon. Il ira jusqu’à risquer ses gâteaux et souhaiter délibérément le plus néfaste non sens, l’absurdité la plus anti-économique, rien que pour mêler à tant de sagesse positive son funeste élément fantastique. C’est justement ses désirs fantastiques, sa bêtise la plus triviale qu’il voudra conserver à son acquis, à seule fin de se confirmer à lui-même (comme si c’était tellement indispensable !) que les hommes sont encore des hommes et non des touches de piano dont daignent jouer les lois de la nature en personne et de leurs propres mains, mais en menaçant de faire durer la musique jusqu’au moment où l’on ne pourra plus rien vouloir en dehors du calendrier. Et ce n’est pas tout : à supposer même qu’il soit vraiment une touche de piano, qu’on le lui prouve par les sciences naturelles et les mathématiques, là aussi, il refusera d’entendre raison et se livrera exprès à quelque acte contraire, par pure ingratitude, rien qu’elle : en somme, pour avoir le dernier mot. Et s’il est démuni de moyens, il inventera la ruine et le chaos, il inventera mille souffrances. Mais il aura eu le dernier mot ! Il jettera sa malédiction sur le monde, et comme la malédiction est le propre de l’homme ( c’es ça le privilège qui le distigue principalement des animaux), ma foi, par sa seule malédiction il arrivera à ses fins, c’est-à -dire à se convaicre vraiment qu’il est un homme et non une touche de piano. Si vous soutenez que même cela, on peut entièrement le prévoir en fonction d’une table de calcul – le chaos, l’obscurité, la malédiction – si bien qu’à elle seule la possibilité du calcul préalable arrêtera tout ce que la raison l’empoetera, dans ce cas, l’homme deviendra fou, exprès, pour ne plus avoir sa raison, mais avoir quand même le dernier mot ! cela, j’y crois, j’en réponds, car toute la tâche de l’humanité consiste précisément, à ce qu’il me semble, en ce que chacun veuille perpétuellement se prouver, quitte à payer les pots cassés ; quitte à revenir à l’âge troglodyte. Après cela, comment ne pas se laisser tenter, ne pas se vanter qu’on n’en est pas encore et que le vouloir dépend encore le diable seul sait de quoi… Vous me criez (à supposer que vous me fassiez encore l’honneur de vos cris) que personne ne m’ôte ma volonté ; qu’on s’ingénie seulement à s’arranger pour que ma volonté coïncide d’elle-même, de mon libre arbitre, avec mes intérêts normaux, avec les lois de la nature, avec l’arithmétique. -Ah ! messieurs, qu’est-ce que le libre arbitre aura à voir quand on en arrivera aux tables de calcul et à l’arithmétique, quand seul aura cours le deux fois quatre. Deux fois deux feront quatre que je le veuille ou non. Est-ce cela, le libre arbitre ? Notes 1. (1788-1886). Auteur médiocre qui servit de cible permanente aux lazzi des journalistes entre 1850 et 1870. |
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