Muettes
Les épinettes épient et guettent…
Mais quoi juste ciel?

Je vous vois au-dessus de la crête rocheuse,
Fières et obstinées,
Toutes alignées en file indienne,
Entourées de glaces,
Prisonnières de la banquise…
Une douzaine d’épinettes, en bon cerbère,
Surveillent l’entrée de la grotte de l’Île du massacre,
Sentinelles du lointain passé
Où une centaine d’indiens Malécites,
Traqués,
Cernés,
Brûlés vif par une famille rivale les Mohawks…
Luttes intestines,
Luttes fratricides,
Luttes tribales, dira-t-on…

Les conifères surplombent le littoral,
À la lisière du grand fleuve,
Racines et mi-troncs ensevelis dans les congères,
Alignés comme la pointe d’une flèche
Fixant l’entrée de la grotte,
Tombe et cimetière des Malécites d’autrefois.

Muettes
Les épinettes épient et guettent encore…
Mais rien ne bouge,
Tout est immobile,
Tout est gelé à l’embouchure de la rivière Bic.
Un champ de glace relie l’Île du massacre
À la terre ferme…
On n’entend que le craquement des glaciers,
Le sifflet du vent boréal venant du grand large,
Le chant enjoué des mésanges dans les branches.

Patientes et toujours aux aguets,
Nos sentinelles de la grotte
Veillent,
Écoutent,
Surveillent…
Pourtant tant de siècles se sont écoulés!
Tous les os et les cendres des malheureux se sont dispersés!
À peine une poignée de gens se souviennent encore…

Muettes
Les épinettes épient et guettent encore et toujours…
Mais quoi juste ciel?
Une rumeur?
Une lamentation?
Un vacarme?
Une agonie?
Un cri?
Une litanie?
Un hurlement?
Non, rien de tout cela!

Les épinettes, sentinelles de la grotte,
Gardent en mémoire la sagesse des Ancêtres,
Gravée dans la pierre,
Incrustée dans les parois des rochers,
Chantée par les vagues de la mer à l’heure du grand dégel,
Récitée jadis par la bouche notre Grand Chef :
« Écoutez-moi bien mes frères,
Qu’est-ce que la Vie?
C’est l’éclat d’une luciole dans la nuit.
C’est le souffle du caribou dans l’hiver.
C’est la petite coccinelle qui court dans l’herbe.
Qu’est-ce que la Mort?
C’est l’éclat de la lune pleine dans la nuit.
C’est le souffle de la brise en été.
C’est le chant de la tourterelle qui roucoule dans le hêtre.
Qu’est-ce que le Silence?
C’est le Grand Mystère.
C’est l’univers sacré des Ancêtres.
C’est la somme de tous les langages.
Quels sont les fruits du Silence?
C’est la maîtrise de soi et la Vraie Connaissance.
C’est la patience, la persévérance et la dignité.
C’est la pierre angulaire du caractère sacré de la Vie et de la Mort. »