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LES BELLES ÉTRANGÈRES
article [ Livre ]
Douze écrivains russes

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
par [NMP ]

2004-11-15  |     | 



Actes Sud
Domaine russe
Romans, nouvelles, récits
sous la direction d'Anne Colfedy-Faucard et Michel Parfenov
novembre 2004.




Ce recueil propose des textes inédits des douze auteurs russes invités des Belles Etrangères.Ils viennent d'un pays récemment libéré d'un régime qui n'avait jamais caché sa volonté d'asservir l'esprit, les créateurs et les écrivains en tout premier lieu.
Des prosateurs et des poètes reconnus y côtoient de "nouveaux" écrivains, deux jeunes débutants et un au¬teur de BD, genre encore balbutiant en Russie.
Si tous ces auteurs ont des voix singulières nul effet d'école ici, nulle bannière sous laquelle se regrou¬per , ils témoignent néanmoins, chacun à sa façon, de la haute idée qu'ils ont de la littérature et de leur art.
Des lignes de force apparaissent alors, dessinant un nouveau et réconfortant paysage littéraire dont la pré¬sente anthologie se veut le reflet et le témoignage.


Nikolaï Chadrine


Andreï Guelassimov


Leonid Guirchovitch


Natalia Jouravliova


Nikolaï Kononov


Ilya Kotcherguine


Iouri Mamleïev


Nikolaï Maslov


Ludmila Oulitskaïa


Vera Pavlova


Lev Rubinstein


Olga Sedakova.




Extrait

Avant-propos 7

Ilya Kotcherguine, Rakhat 13
Ludmila Oulitskaïa, Le Court-Circuit 21
Nikolaï Chadrine, Un adieu 39
Vera Pavlova, Partout-Ici (extraits) 47
De part et d’autre du baiser (extraits) 53
Autoportrait de profil (extraits) 57
Nikolaï Maslov, L’Espion 61
Iouri Mamleïev, Chez ce diable de Lioutov 73
Natalia Jouravliova, L’Aquarium 89
Leonid Guirchovitch, Têtes interverties 105
Lev Rubinstein, Questions de littérature 117
Andreï Guelassimov, Les Dieux de la steppe 129
Nikolaï Kononov, L’Incarnation de Leonid 145
Olga Sedakova, A la mémoire du poète 161
L’Ange de Reims 169


Avant-propos


Au gré des vicissitudes historiques et politiques, les lecteurs français sont périodiquement conviés à redécouvrir la littérature russe. Naguère, contre l’avis de Melchior de Vogüé, un Maurice Barrès fustigeait les amateurs de ces “nourritures trop épicées” qu’étaient à ses yeux Dostoïevski et Tolstoï. Plus près de nous, alors qu’on n’en avait que pour les auteurs bolcheviques, Marcel Péguy se faisait un devoir de rappeler l’existence en France des écrivains de l’émigration, tels qu’Ivan Bounine, Ivan Chmeliov, Marina Tsvetaïeva… Aujourd’hui où la Russie semble une nébuleuse lointaine, les Belles Etrangères offrent l’opportunité de se convaincre que sa littérature existe bel et bien.
Il est vrai que la production des premières années de l’après-1991 n’inclinait guère à l’optimisme. La liberté de parole apparue pendant la perestroïka ne suscita pas l’âge d’or que l’intelligentsia russe avait pu attendre. Quand la très “sérieuse” revue Novy Mir se vendait encore à plus de deux millions d’exemplaires, grâce surtout à la publication de L’Archipel du Goulag, Agatha Christie ou Angélique, marquise des anges, avec des tirages à cinquante millions d’exemplaires, restaient le moteur de l’explosion éditoriale.
Les auteurs de l’époque soviétique passèrent à la trappe du jour au lendemain, à l’exception de ceux qui avaient été bannis, comme Iossif Brodsky (auquel Olga Sedakova rend ici hommage) ou Alexandre Soljenitsyne, dernière figure du Grand Ecrivain dont les lettres russes furent si prodigues…
Désacralisée, trop compromise avec le régime, la littérature russe, confondue avec la littérature soviétique, disparut des étals au profit des auteurs traduits, toutes catégories confondues. A contre-courant, soutenues par une poignée de critiques, les “grosses” revues, devenues confidentielles mais présentes en ligne sur Internet, et quelques nouvelles petites maisons d’édition, comme Vagrius ou Text puis Ad marginem, s’obstinèrent à publier des auteurs nationaux. Renforts inattendus, les thrillers russes, avec leurs millions d’exemplaires vendus dans le pays, semblaient démontrer a contrario que le lectorat était las des produits d’importation frelatés.


Les temps ont bien changé et, en ce début du XXIe siècle, toutes les maisons d’édition de renom, en Russie, ont un département de littérature russe. A l’instar du saucisson national, réapparu dans les magasins d’alimentation sous Vladimir Poutine, on trouve maintenant en abondance des auteurs autochtones dans les librairies.
Il n’empêche : la littérature “sérieuse” est loin de se vendre comme les romans policiers et les romans de gare. Tiré au départ à cinq mille exemplaires, mais finalement vendu à cent mille, le roman de Viktor Pelevine Génération P est un énorme et rarissime succès, alors que la Russie compte cent quarante-cinq millions d’habitants. Cependant, si la littérature est moins achetée parce qu’elle n’est plus lue pour son message, elle est redevenue littéraire.
Paradoxalement, après plus de dix ans de liberté d’expression, d’absence de censure, cette littérature-là reste d’autant moins connue du public français que l’image médiatique qui lui en est donnée se résume, trop souvent, à une improbable “âme russe” made in USA. Cela incite notamment des éditeurs étrangers à forcer le trait pour attirer l’attention. C’est ainsi qu’un livre intitulé Dans la steppe dans sa version originale devient en français Dans les égouts…


La sélection des douze auteurs de cette édition des Belles Etrangères russes ressortit à un exercice délicat, avec sa part de subjectivité et de pari sur l’avenir. Ce recueil propose des auteurs de différentes générations. Des prosateurs et des poètes reconnus, comme Ludmila Oulitskaïa, Olga Sedakova, Iouri Mamleïev, Lev Rubinstein, côtoient de “nouveaux” écrivains, tels Vera Pavlova, Andreï Guelassimov, Nikolaï Kononov, mais aussi Nikolaï Chadrine, Leonid Guirchovitch, ou encore Natalia Jouravliova et Ilya Kotcherguine, deux tout jeunes débutants. A cette liste il convient d’ajouter Nikolaï Maslov, auteur d’une BD, genre encore balbutiant en Russie, dans laquelle il raconte sa vie, celle d’un “Soviétique de base” des années 1970.
Si ces douze auteurs ont des voix singulières – nul effet d’école ici, nulle bannière sous laquelle se regrouper –, ils témoignent néanmoins, chacun à sa façon, de la haute idée qu’ils ont de la littérature, et l’on voit se tisser entre leurs œuvres des liens dépassant les générations, les époques et les genres. Des lignes de force apparaissent ainsi, dessinant un nouveau et réconfortant paysage littéraire.


Plus qu’aucune autre, la littérature russe a toujours su mêler, jusqu’à les confondre, la vie et l’œuvre des auteurs. Les douze écrivains présentés dans cette anthologie en sont une vivante illustration. Nés aux quatre coins d’un immense pays (Nikolaï Maslov, Andreï Guelassimov et Nikolaï Chadrine en Sibérie, Natalia Jouravliova à Kirov, Nikolaï Kononov à Saratov…), ils redonnent à la littérature russe une ampleur qu’elle avait perdue, confinée, au temps de l’Union soviétique, dans les deux capitales, Moscou et Leningrad, ce qui n’empêchait pas, dans l’esprit et dans la lettre, un provincialisme complètement absent ici. Venus des horizons les plus divers, riches d’expériences multiples (Ludmila Oulitskaïa est généticienne de formation, Iouri Mamleïev mathématicien et philosophe, Nikolaï Kononov philosophe et physicien, Leonid Guirchovitch violoniste et il vit en Allemagne, Andreï Guelassimov acteur chez Anatoli Vassiliev…), ils sont, à la différence des anciens Soviétiques, ouverts sur l’étranger géographique, linguistique et littéraire (Ilya Kotcherguine est sinisant, Olga Sedakova est linguiste et propose ici un poème consacré à l’Ange de Reims, Andreï Guelassimov a soutenu une thèse sur Oscar Wilde…).
Sans ostentation ni engagement d’ordre politique ou idéologique, l’œuvre des douze écrivains ici présents laisse transparaître un attachement très fort à l’histoire plus ou moins récente du pays, et une réflexion sur le passé russe et soviétique. Certains auteurs – question de génération – ont pris une part directe aux événements et évolutions du XXe siècle : Olga Sedakova, Iouri Mamleïev étaient publiés en samizdat, Lev Rubinstein a longtemps fait partie des écrivains “non officiels”, tandis que d’autres, plus jeunes, les réfléchissent dans leurs œuvres : Nikolaï Chadrine, Ilya Kotcherguine… ou se penchent sur les drames du moment, notamment la guerre de Tchétchénie : Natalia Jouravliova, Andreï Guelassimov.
Le quotidien, représenté dans des tons sombres, réalistes, occupe également une grande place dans les textes proposés (Ludmila Oulitskaïa, Nikolaï Maslov, Vera Pavlova en poésie). Le plus souvent, toutefois, cette préoccupation des auteurs est transfigurée par un recours au fantastique et au grotesque (Iouri Mamleïev, Natalia Jouravliova, Leonid Guirchovitch), les écrivains se rattachant à la tradition initiée par Nikolaï Gogol et revisitée, au temps de l’URSS, par Andreï Siniavski qui, au “réalisme socialiste” alors en vigueur, opposait le “réalisme fantastique” comme forme supérieure d’appréhension du réel.
Par le fantastique, la dérision, l’humour (Andreï Guelassimov, Leonid Guirchovitch, Nikolaï Kononov, Lev Rubinstein…), la littérature atteint au cœur de l’humaine condition, si prégnante dans les lettres russes depuis Alexandre Pouchkine. La vie, la mort sont l’univers familier de ces douze auteurs qui les évoquent avec la tragique élégance du désespoir (Nikolaï Kononov, Nikolaï Chadrine, Ilya Kotcherguine…).
Comme il est de coutume dans la littérature russe, la spiritualité est partout présente, qu’elle s’exprime dans une passion pour l’art (notamment la musique pour Ludmila Oulitskaïa, Leonid Guirchovitch, Vera Pavlova) ou pour la langue dans ce qu’elle a de quasi mystique (Lev Rubinstein, Olga Sedakova, Nikolaï Kononov).

Que ces Belles Etrangères russes permettent au lecteur français d’apprécier des talents nouveaux ou confirmés, venus d’un pays libéré, il y a à peine quinze ans, d’un régime qui n’avait jamais caché sa volonté d’asservir l’esprit, les créateurs et les écrivains en tout premier lieu.
L’immense ambition de ceux qui ont réalisé ce recueil n’aura été que de tenter de se conformer à l’exigence formulée par Nikolaï Gogol : “Devenir un verre si transparent qu’on croie qu’il n’y a pas de verre.”
Anne Coldefy-Faucard et Michel Parfenov

(www.actes-sud.fr)

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