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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2019-02-24 | | Argument : Claudius vient d'assassiner son frère, roi du Danemark, et de s'emparer du trône. Par la même occasion, il s'empare également de la femme de son frère en épousant la reine, Gertrude, qui est aussi la mère d'Hamlet qu'elle a eu de son premier mariage. Hamlet, fou de haine envers Claudius et de mépris envers sa mère, veut à tout prix venger son père dont le spectre le hante. Mais Hamlet est également amoureux d'Ophélie, la fille de Polonius, conseiller de Claudius. Enfin, Polonius est, outre le père d'Ophélie, le père de Laerte, un jeune homme droit mais impétueux. Décidément, les mises en scène de Shakespeare au Conservatoire donnent à vivre d’exceptionnels moments de théâtre. J’avais déjà , il y a quelques années, été époustouflé par la démesure du « Songe d’une nuit d’été » où la scène avait littéralement avalé tout l’espace en annexant l'ensemble de l’orchestre. La semaine dernière (mardi 19 février 2019), la représentation d’Hamlet par les élèves de troisième année a été à la mesure de la démesure de cette œuvre majeure de Shakespeare, ambitieuse et par moments presque délirante dans une représentation de la folie qui autorisait toutes les outrances… Et, pendant trois heures d’une grande densité (mais coupées par un entracte), les acteurs s’en sont donnés à cœur joie, dans une version modernisée mais néanmoins respectueuse de la pièce, en poussant les éléments dramatiques à leur paroxysme ! A tel point que cette mise en scène aurait aussi pu être rebaptisée « Hamlett » car elle repose un peu sur le même principe que le « Macbett » de Ionesco transformant Macbeth en une pièce tragi-comique par le déchaînement de la violence et de la folie. Ce fut notamment le cas lors de la scène du théâtre dans le théâtre, quand Hamlet invite à la cour une troupe de comédiens et leur demande de jouer l'empoisonnement d’un roi pour épier les réactions de Claudius et de Gertrude et y déceler les preuves de leur culpabilité… L’allure hiératique des acteurs, transformés par les costumes et le maquillage en spectres blafards (voir la photo ci-dessus), et la grandiloquence de dialogues se disloquant en simples onomatopées « Vivre ! » et « Mourir ! » exclamées par des formes agonisantes et convulsives, ont sidéré les spectateurs, devenus témoins et presque acteurs car parfois apostrophés au même titre que Claudius, Gertrude, Polonius et Ophélie qui avaient pris place dans les fauteuils d’orchestre (sur des sièges réservés au fond de la salle). Le public était assez jeune. Plusieurs clins d’œil (dont certains franchement hilarants comme le « car c’est notre projet !!!! » d’Emmanuel Macron mis dans la bouche d’un agitateur vociférant et haranguant la foule !) ont suscité le rire mais il m’a semblé que le public a parfois ri à contre-sens, un peu comme on rit devant un film d’horreur pour tourner en dérision la violence et alléger la tension excessive suscitée par l’action se déroulant devant nos yeux. Car la pièce, qui traite de la perversion du pouvoir (qu’il s’agisse de pouvoir politique ou de tout rapport de forces généré par le jeu des passions humaines), vire progressivement au jeu de massacre. L'atmosphère est très sombre, voire franchement glauque. Les mâchoires d’une violence devenue folle broient inéluctablement tous les personnages, dont d’ailleurs aucun ne sort vivant ! La mise en scène accentue le triomphe de la mort en supprimant le personnage d’Horatio, qui jouait chez Shakespeare le rôle de témoin et d’unique survivant à l’hécatombe… Quant à la folie, Hamlet, dans la version du CNSAD, ne simule plus : il est devenu réellement fou après la révélation (dans un tableau grandiose où un éclairage sublime couvrait tous les murs de la scène d’injonctions au meurtre et à la vengeance) de l’assassinat de son père par Claudius, qui en a profité pour s’emparer, d'un seul coup, de la couronne et de son épouse… Comme assez souvent au Conservatoire, les rôles principaux (ici Claudius et Hamlet) sont joués par plusieurs acteurs. En fait, ici, ces deux rôles étaient joués par une paire acteur/actrice et l’espèce d’androgynie qui en découlait, aussi bien dans le jeu que dans les intonations de voix, était parfaitement adaptée à la représentation d’une folie qui abolit tous les codes et toute notion de normalité. La facilité aurait été de profiter de l’entracte pour organiser le découpage des rôles mais la mise en scène était bien plus intelligente. Personnellement, j’ai même trouvé que la transition sur Claudius était presque géniale, avec un premier acteur qui incarne cet être fourbe d’une manière mesurée et pondérée puis, après la pièce du théâtre dans le théâtre où Claudius est confronté à l’évidence de son abjection, par un deuxième acteur, en fait une actrice (May Hilaire) qui parvient vraiment à susciter un sentiment de trouble dans son jeu et à refléter son obsession de tuer Hamlet, en qui il devine un danger mortel. Claudius va dès lors instrumentaliser tout son entourage, notamment Laërte revenu pour venger la mort de son père Polonius. Il y parviendra, mais pour son propre malheur, en organisant un duel entre Laërte et Hamlet... Polonius, père d’Ophélie et de Laerte et conseiller (un peu calculateur et machiavélique) du roi, et la reine Gertrude (épouse de Claudius et mère d’Hamlet) sont les deux seuls pôles de stabilité dans un univers ravagé par la violence. Ils gardent leur raison et ne basculent pas dans la folie qui emporte tous les autres protagonistes dans un tourbillon de culpabilité et de démence. Polonius, qui ne cesse de raisonner et de discourir en alternant les effets de sérieux et de comique (le jeu de Benjamin Gazzeri m’a un peu fait songer à celui de Thierry Lhermitte), périt rapidement, assassiné par Hamlet dans une scène tragi-comique qui suscite davantage le rire que l’effroi. Dès lors, même sans connaître la pièce, on sait que tous les personnages courent à la mort car le conseiller du roi, qui était son unique garde-fou face à la folie, vient d’être abattu… La reine Gertrude (épouse de Claudius et mère d’Hamlet) m’est apparu comme le rôle le plus complexe de la pièce, car elle est à la fois complice et victime des manigances politiques ourdies par les hommes qui se battent pour le pouvoir. Bien qu’en apparence secondaire, elle est omniprésente et la grâce de l’actrice (Manon Clavel, dans un jeu plein de nuances contrastant avec la folie exacerbée de tous ceux qui s’agitent autour d’elle), rehaussée par la somptuosité des costumes, la transfigurait en seule possibilité de rédemption. Il semblait qu’il aurait suffi que Claudius ou Hamlet s’en remette à elle pour que s’apaisent les vents de tempête. Et je n’ai pu m’empêcher de songer à ce qu’André Breton écrivait, dans Arcane 17, sur l’importance décisive des femmes pour détourner la politique de la voie violente qu’elle a prise depuis le commencement de l’Histoire... (même s'il suffit de songer à Agrippine pour s'apercevoir que la solution n'est pas aussi simple !). En revanche, le personnage d’Ophélie, pourtant emblématique de la pièce et devenu un archétype du suicide romantique, était transparent. Jeune fille fragile jusqu’à la faiblesse, incapable d’affirmer ce qu’elle veut ou ressent face à l’amour d’Hamlet qui la provoque de manière grossière en lui disant que finalement elle n’a le choix, comme toutes les femmes, qu’entre finir putain ou finir au couvent, Ophélie meurt d’une façon presque grotesque en glissant dans la rivière. Le choix de mise en scène d’en faire une pauvre idiote manipulable et manipulée m’a un peu surpris, d’autant que le trait était inutilement souligné jusqu’à la caricature par la reprise de la chanson « Conne » de Brigitte Fontaine (qui, à mon sens, n'était pas appropriée). En fait, Ophélie n’est émouvante que lors de son enterrement, avec un magnifique jeu d’éclairage venant de la tombe, qui sculptait l’espace pour composer un très beau tableau vivant. |
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