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■ Magnolia
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2011-07-29 | |
C’est d’abord, dans un entrelacs de rues du Quartier latin, une salle abritée dans un théâtre difficile à trouver, à l’écart de l’agitation des rues alentour comme un temple gardé par les fétiches et les statues qui veillent dans le petit couloir au bout duquel, après le guichet, quelques marches s’enfoncent et mènent à un petit caveau voûté, aux pierres apparentes.
C’est ensuite le sentiment d’une présence sur la scène plongée dans la pénombre, rendue immédiatement perceptible par la proximité du public. Un piano droit (ou peut-être oblique, je n’ai jamais su vraiment les distinguer), dont le coffre ouvert dénude la mécanique intime des cordes et des marteaux, semble attendre qu’on l’éveille tandis qu’au sol palpitent, comme des braises rougeoyantes, les lueurs des pédales de sample. Après de longues minutes, Antoine Bataille paraît : longue silhouette longiligne dont le corps disparaît dans des vêtements sombres et flottants qui se fondent dans le clair-obscur de la scène, illuminant par contraste les mains et les pieds nus, et le visage nimbé par la rousseur de la chevelure et de la barbe et par l’éclat du regard, souligné par de petites lunettes rondes… Il s’assied et, après quelques secondes de silence intense comme un recueillement, commence à jouer d’une façon un peu étrange entre la virtuosité et l’improvisation, voûté au-dessus du clavier sur lequel son visage souvent s’incline jusqu’à le toucher ; dans la pénombre de la scène, son visage éclairé et souriant semble flotter comme l’Esprit sur les eaux de la Genèse, s’immobilisant parfois comme s’il quêtait l’inspiration dans l’écoute d’une voix intérieure puis, ainsi que se convulse et se déchire un ciel gravide chargé d’éclairs, le rythme des mains s’accélère soudain sur les touches blanches et noires. Parfois, les pieds nus viennent jouer sur les pédales au sol, éveillant ou capturant des sons électroniques qui font un écho à sa musique, sans jamais en rompre l’harmonie ni la cohérence. On pourrait songer à certaines expérimentations de Yes (Gates of Delirium) ou Pink Floyd mais ce n’est pas cela : la communion entre Antoine Bataille et son piano n’est jamais brisée par les enchevêtrements sonores qui mêlent la clarté cristalline des cordes et les distorsions électroniques de leurs vibrations… Sa musique s’apparente davantage à celle de Nano dans « L’autre côté du vent » et, tout en étant beaucoup moins épurée (voire moins aboutie), à celle de Geoff Smith, qui a mis en musique les poèmes d’Emily Bronté dans « 15 Wild December » (Sony Classical) avec la soprano Nicola Walker Smith (son épouse). Puis, presque soudainement, Antoine Bataille chante. Tourné vers le public, comme poussé par la nécessité intérieure d’un texte qu’il soupire et murmure et crie et chuchote rageusement, sans jamais que la flamme douce de son regard s’éteigne, ni que ses mains abandonnent le clavier, il pose les mots sur la musique qui les pousse et les heurte comme un cours d’eau impétueux. Il dit, avec des mots simples qui résonnent soudain d’étranges implications, les hésitations du rapport au monde particulier des poètes, ressenti tout à la fois dans l’immédiateté du corps et dans la mise à distance qu’impose le langage. S’appuyant sur des poèmes de Marie Bataille (poète que j’ai découvert à cette occasion, dont l’homonymie traduit peut-être des liens familiaux), ainsi que sur des auteurs plus connus tels Albert Cohen (peut-être davantage pour l’inspiration que par citation, car je n’ai guère reconnu le style très littéraire d’Albert Cohen dans la poésie, à la fois véhémente, mélancolique et charnelle, d’Antoine Bataille), la musique et le chant subliment la quintessence et le romantisme sombre du texte, jusqu’à ce paroxysme que les mots ne peuvent exprimer mais que la musique peut susciter dans leur prolongement… Antoine Bataille semble véritablement habité, jusqu’à l’incarnation, par la dimension duale d’une poésie musicale qui sourd tout à la fois de sa voix, de ses mains, de son attitude et de son regard, dont la densité et la douceur, sans aucune afféterie, semblent attester la sincérité de l’artiste, qui paraissait visiblement ému par les vifs applaudissements (dont les miens) qui succédèrent au silence, lorsque la dernière note fut jouée. Une telle ferveur, suscitant une sorte d’état de grâce de l’artiste, m’a fait songer aux premiers temps du romantisme allemand, quand Novalis incarnait la dimension messianique d’une Poésie totale et vécue, qui se voulait capable de transformer le monde… Nota : la deuxième partie du spectacle associe à Antoine Bataille une harpiste et un jeune guitariste, qui chantent également tous deux. Les compositions musicales, notamment les entrelacements du piano et de la harpe celtique, suscitent des images mentales mélancoliques d’une merveilleuse beauté et la sensation d’une présence, d’une grande pureté, tout à la fois proche et inaccessible comme une ombre qui se dérobe dans la lumière rasante… Le chant de la harpiste, dans une langue proche de l’espagnol mais que je n’ai pu reconnaître, crée d’intéressants contrepoints ; le texte du morceau chanté en français, un peu dans la veine du groupe Noir Désir, est d’un intérêt moindre car il n’a pas la même force d’impact et la même subtilité que les poèmes de Marie Bataille. Eric Eliès |
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