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La Suprême Emotion
article [ Livre ]
Ionut Caragea

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
par [NMP ]

2009-07-28  |     | 


















Illustration de la couverture - Vlad Turburea


(…)
c’est un jour où la poésie attend
pour partager un petit repas avec un poète affamé
venu de loin, de très loin
c’est un jour où la poésie attend
sous un parapluie
en regardant vers les coulisses d’un orage
vers la forêt des pensées
c’est un jour, c’est une nuit quittée par les rêves
c’est l’erreur d’hier
c’est un adieu sans mots
des gants élégants et fins
comme la peau d’un animal mort
je suis parti, je suis parti, je suis parti
n’arrête pas cette vague qui monte
comme un tsunami et coule
dans mes veines
(« Poésie bilingue »)


La dernière parution du poète canadien d’origine roumaine Ionut Caragea, «La suprême émotion», publiée sous le pseudonyme de «Snowdom King» aux éditions ASLRQ, Montréal, Canada, juillet 2009, est un volume de poésie en langue française. Auteur de 9 volumes en langue roumaine, co-fondateur et vice-président de l’ASLRQ : Association Québécoise des Ecrivains Roumains, Ionut Caragea vit à Montréal depuis 2003. Sa carrière littéraire démarrée en 2006, n’a cessé de suivre une courbe ascendante. Récompensé par de nombreux prix en Roumanie, ce poète «né sur Google» comme il aime à se définir, fait preuve d’une écriture mature et puissante, dans laquelle se mêlent sujets de réflexion universels et détails du quotidien : la poésie salvatrice/ l’exil, la vie informatique/ la vie réelle, le rapport au temps/ la mort, et même Dieu n’est pas absent, traité avec une fine ironie. Dans ce volume tout en français – auquel ont participé de nombreux traducteurs eux-mêmes poètes ainsi que l’auteur lui-même- s’esquisse une vision de notre monde de la part d’un poète empli d’une certaine nostalgie, mais au regard très affûté et non dénué d’une certaine tendresse. Un beau volume, intelligent et distrayant.

Nicole Pottier


il y a toujours des trains
vers l’enfance
mais il n’y a aucune gare
aucune billetterie
et quand je saute dans le train en marche
le contrôleur m’attrape
et m’oblige à payer
dix fois la somme de mes années
(« Le train de l’enfance »)



je regardais le ciel en soupirant
je touchais les nuages de mes doigts
qui dessinaient des avions
quand on est seul entouré par des étrangers
Dieu est plus proche
je suis un oiseau de passage
exilé par l’existence stérile sur d’autres continents
j’aimerais survoler Tomis
lécher le sel de mes blessures
embrasser Ovide sur le front
griffonner une poésie nostalgique
(« Voyage, voyage »)



En effet, il a quitté son pays et a trouvé/choisi son pays d’élection, celui où il pense pouvoir cultiver sa rose – la poésie. La rose est bien son symbole parfait, car ce mot, décomposé, peut s’écrire comme l’Art ose.
(…)
Tout comme Ionut CARAGEA ne saurait vivre sans poésie – elle le nourrit, voire il s’en gave, s’en donne à cœur joie et l’on pourrait dire qu’il s’envoie, par son intermédiaire, une pinte de bon sang, de bonne humeur (plus ou moins), celle-même qui arrose sa rose. Maintenant, à la veille de son anniversaire, nous lui tendons une rose - par monts et par vaux, par mers et par océans - et lui crions : Ça s’arrose, Poète ! Bon anniversaire !

Constantin Frosin (LE PETIT PRINCE DE LA POÉSIE, préface)



ah, ma vie, les gens s’éloignent de plus en plus de moi
et jour après jour je monte sur un piédestal de mots
regardant du plus haut, de plus en plus haut
ce que je fus et ce que je ne serai plus

mes désirs se réalisent
à un prix que j’ignorais auparavant
et seule la tâche de mener jusqu’au bout
l’offrande de ma propre âme
me laisse respirer
et mon nom, oui, mon nom
je ne peux plus lui tenir la bride haute
vorace il m’a déjà devancé
en conquérant des redoutes, de fortes redoutes
(« Ah, ma vie… »)



(…)
La vie dans toutes ses dimensions est le fil rouge de ce volume, émotions authentiques et expérience vécue sont la base du matériel qui compose le recueil. Ionuț Caragea est un poète curieux à situer dans ce monde moderne, par ailleurs aliénant: "je cherche toujours / l’endroit où je pourrai / me confesser". Confessions, révolte, amour, besoin de communication sincère: "Tu parles avec les arbres, avec les oiseaux / Avec les escargots" (Je suis poète).
Quelquefois, lorsque "La vie ne vaut rien" ou que "la vie est éphémère" (Moi-même au carré), la relation avec la divinité est remise en question: "Je vais renvoyer Dieu / De ma liste de favoris / Et je vais crier à voix haute/ Yahoo! "
Esprit promeneur, ébloui en permanence, ce qui est un état absolument nécessaire comme indicatif du verbe « vivre », car être poète c'est se perdre de temps en temps dans le labyrinthe de l'inconnu et de l'anonymat, parcourir les sables mouvants de la solitude. "Né sur Google", pressé de déchiffrer l'univers existentiel, Ionuț Caragea confesse sa nostalgie de l'enfance, mais comprend qu’il doit accepter les sacrifices sine-qua-non de la célébrité. L'expérience de l'exil, du mal du pays, des lieux natals et des parents, les souvenirs de l'âge de l'apprentissage primordial trouvent une place importante dans ce volume.
Sa poésie est amour compris comme juste partage des émotions de tout type. L'amour est jeunesse de l'esprit, et se fonde sur l'unité des contraires, du féminin et du masculin, pas au niveau du corps physique, mais visant un niveau plus élevé, le niveau spirituel.
Préoccupé par la poésie et essayant de nouvelles voies d'expression par le dépassement des standards poétiques, Ionuț Caragea est conscient du rôle qui lui incombe : de repérer le beau et le sublime et de les restituer. En compétition avec la fuite du temps, le poète cherche avec un intérêt impatient tout ce qu'il peut mettre en vers. Il ne manque ni de sujets ni d'inspiration, mais de temps. Sa poésie est un témoignage explicite de sa reconnaissance en face de l'immensité et de l'infini de la Création: "il y a tant de poésie autour de moi / que jamais je n’aurai le temps de l’écrire !" (D’une seule pensée).

Clava Nour (Exercices de révélation, postface)


je suis convaincu que je peux arriver là-bas
dans ce monde que je touche seulement
du bout des doigts
et de mon crayon magique
poésie ouvre-toi et laisse-moi entrer
dans ta contrée de rêve
mon âme est la clé des mots
ma souffrance est la voie
laissez-moi finir ma poésie
faire le lit de la destinée telle que je l’envisage
qu’elle reste un témoignage
pour ceux qui me lisent
pour ceux qui voudraient être mes amis
ou bien qu’elle soit une occasion de me haïr à jamais
pour ceux qui ont oublié d’aimer
laissez-moi finir ma poésie
c’est elle, la maison dans laquelle je reposerai
le tombeau sur lequel pleureront mes enfants
la prière adressée au bon Dieu
elle, mon bonheur
et mon exil
(« Laissez-moi finir ma poésie »)


*



La Suprême Emotion
Snowdom King
éditions ASLRQ, Montréal, Canada, juillet 2009.

La suprême émotion/ www.ionutcaragea.ro

***

Autres articles à consulter:
La poésie sur l’échiquier quotidien de l’émotion, par Angela Nache Mamier
La suprême émotion par Clava Nour

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