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Double vie N°6 (Myriam)
prose [ ]

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par [BOKAY ]

2005-06-12  |     | 



Double vie N°6 (Myriam)


Après une heure d’interrogatoire, le lieutenant me renvoie dans le même petit bureau. La jeune fille est toujours là, assise sur sa petite chaise inconfortable. Le lieutenant ouvre la porte.
--- Et moi ! Vous m’avez oubliez ? Ca fait plus de deux heures que je j’attends ! Dit-elle.
--- C’est mon collègue qui s’occupe de vous dit le Lieutenant, je ne peux rien faire !Vvous désirez quelque chose ?
--- Ouais, je veux me barrer d’ici !
N’ayant aucune envie de prolonger la discussion, le Lieutenant referme la porte. Nous revoilà tous les deux, comme auparavant.
--- Font chier les flics ! Dit Myriam, qu’est-ce qu’ils en ont à foutre si je fais des tags! C’est pas à eux le métro! En plus, c’est de l’art et c’est ma façon de m’exprimer.
--- C’est pour ça que vous êtes ici, c’est à cause des tags ? Dis-je.
--- Ouais ! C’est pour ça ! De toute façon, j’ai pas le choix !
--- Vous n’avez pas le choix de quoi ?
--- Oh, laisse tomber, je ne vais pas te raconter ma vie, mais j’ai pas le choix ! Et toi, qu’est-ce qu’ils te veulent les flics ?
--- Ils me croient responsable de la disparition d’une personne qui n’existe pas, dis-je.
--- C’est n’importe quoi ! Tu parles des cons !
La conversation se poursuit et je découvre, derrière cette fille au franc parler, une adolescente qui a mûri trop vite, poussée dans la rue par des conflits familiaux. Je suis une oreille docile et elle en profite. Elle tourne sans cesse autour d’un sujet que je n’arrive pas à cerner. Je pense que cela concerne son beau-père.
--- Ah, Si seulement j’avais une piaule ! Même une petite… Ma vie serait transformée, je serais libre !
--- C’est pas possible dis-je, t’es même pas majeur !
--- On voit que tu sais pas ce que c’est ! Dit-elle. Se retrouver dehors en pleine nuit quand tu sais même pas où aller ! Moi, ça m’arrive souvent.
Une idée me traverse l’esprit : elle pourrait dormir dans l’appart d’Elodie ? En fait, il est toujours inoccupé. J’hésite un instant, la regarde…Je ramasse une feuille de papier qui traîne et inscris mon numéro de téléphone et mon adresse.
--- J’ai un petit appart qui est souvent libre, dis-je en lui tendant le papier, si ça t’arrive encore d’être dehors en pleine nuit, tu me passes un coup de fil et je te prête les clés pour la nuit. Mais, pas de connerie, tu me les ramènes le lendemain.
--- Houa, c’est sympa ! Merci dit-elle.
La porte s’ouvre :
--- Monsieur Pelletier s’il vous plaît !
C’est le lieutenant, je le suis une nouvelle fois dans son bureau. Il s’installe devant son écran, m’ignore et lit en silence. Il a échangé son chewing-gum pour un cigare dont la fumée s’élève et embrume la lampe suspendue au-dessus de son bureau. Des cendres tombent à intervalles réguliers sur le clavier. Machinalement il souffle dessus, un nuage grisâtre tourbillonne et retombe sur le bureau. Soudain, comme s’il sortait d’une longue léthargie, il relève la tête de son ordinateur, prend une attitude hautaine et se donne un air important.
--- Monsieur Pelletier, vous êtes libre de rentrer chez vous, dit-il. Madame Serine Lefranc s’est rétractée, ses déclarations à présent sont confuses. De notre côté, nous ne trouvons aucune trace de mademoiselle Elodie Lemaire. A ce demander si cette personne existe vraiment ! vous pouvez partir, vous êtes libre.
Enfin je suis dehors, quel soulagement ! Je quitte le commissariat sans me faire prier, on ne sait jamais... Il y a longtemps que je n’ai pas éprouvé autant de plaisir à remonter la rue de Vaugirard, libre tout est plus beau, les vitrines sont plus lumineuses, les gens souriant, ça baigne ! Après avoir ouvert ma porte, Je vais direct à la salle de bain et me regarde dans la glace : Quelle gueule ! On dirait que mon coquard a encore grossi ! C’est pas demain que je pourrai faire revenir Elodie ! Je réalise à quel point mon petit jeu peut être dangereux. L’envie de tout arrêter me traverse l’esprit, mais non, j’ai encore le problème « Serine » ?
Un mois s’est passé, mon boulot absorbe toute mon énergie. j’ai laissé Elodie de côté, manque de temps et avec mon coquard, je n’avais pas d’autre choix. Aujourd’hui c’est dimanche, pour me changer, je vais faire un tiercé au PMU. Assis à une table, concentré, je côche, note et rature en admirant la couleur ambrée de ma Chimay. Je fais mon tiercé avec la plus grande attention quand soudain, je reçois une tape dans le dos, je me retourne.
--- Vous me reconnaissez ? C’est Max ! On s’est parlé longtemps à l’hôpital ?
--- Bien sûre que je vous reconnais dis-je ! Vous allez mieux ?
--- Ouais ! Je sais pas ce que j’ai eu, peut-être un gros coup de fatigue.
--- Et votre travail ? Vous l’aviez perdu. Dis-je.
--- J’ai été voir mon patron, je me suis excusé et il m’a réintégré dans la boite, je reprends le boulot la semaine prochaine.
--- C’est une bonne nouvelle, et avec votre femme, ça s’arrange ?
--- Avec Serine ? On voit que vous ne la connaissez pas ! Elle m’a tellement harcelé, nuit et jour que j’ai fini par céder, j’ai mis ma ferme en vente il y a trois jours ! Depuis, je passe mon temps ici, je me mine, je suis devenu le meilleur client de ce café ! J’espère que je ne vais continuer à sombrer, j’ai pas envie de retourner dans ce putain d’hôpital ! Elle a réussi ce qu’elle voulait, elle pourra se le payer son bel appart, sa grosse bagnole ! Mais moi, j’en ai rien à foute de tout ça ! Ah quel bordel ! Vendre ma ferme pour des conneries de femmes !
Dès qu’il prononce le nom «Serine », des souvenirs remontent, une poussée de sang chaud parcourt mes veines tel un torrent d’amour et de haine. Je la hais pour son comportement mais j’ai de plus en plus la sensation que mon amour pour elle est intact. Quelle sensation étrange ! Je ne peux gommer de ma mémoire nos ébats amoureux, je sens encore la douceur de ses cuisses contre les miennes, le frottement de ses seins contre mon corps… Et je me plais à rêver…
--- Cela ne me regarde pas dis-je, mais à votre place, moi j’aurais pas cédé ! J’aurais tenu bon, que ça lui plaise ou non! C’est quand même à vous cette ferme !
--- Ya des copains ici qui disent comme vous ! Mais comprenez ! Moi je ne sais plus quoi faire, j’en ai marre des disputes tous les jours, c’est pas une vie !
--- Céder au chantage n’a jamais été une solution dis-je ! Réagissez ! Retournez chez le notaire et dites que vous avez changez d’avis. Votre femme va monter en rage ? Et alors ? Ce sera une première victoire pour vous.
Un homme qui de toute évidence connaissait Max intervient.
--- Monsieur à raison, dit-il en me tapotant légèrement l’épaule de son index, faut pas que t’écoutes ta femme elle va se barrer avec tout ton fric. Tu diras pas qu’on t’a pas prévenu ?
--- Ouais ! Vous avez peut-être raison dit Max en saisissant son verre de rosé.
Le téléphone me réveille alors que je viens juste de m’endormir. L’envie de ne pas répondre m’effleure, mais ma curiosité prend le dessus sur ma paresse.
--- Ouais… Allô ! Allô ! Parlez ! Mais parlez merde !
--- Je… Je m’excuse de vous déranger à cette heure, je suis Myriam… On s’est rencontrés au commissariat !
--- Ah d’accord ! Qu’est-ce que je peux pour toi ?
--- Vous m’aviez dis que vous pourriez me prêter un petit appart ? C’est juste pour cette nuit, je suis dehors.
--- Tu as mon adresse je crois ? Tu es où en ce moment ?
--- juste au pied de votre immeuble.
--- Attends, je t’ouvre, monte.
Myriam arrive à l’étage quand j’ouvre ma porte. J’ai du mal à reconnaître la jeune fille ardente et blagueuse du commissariat. Elle marche lourdement, toute recroquevillée, comme si elle voulait se faire petite, insignifiante. Elle lève la tête, son visage est rougi par les larmes, quelques bleus se forment sous ses yeux et elle saigne de la lèvre inférieure. J’ai à peine le temps de refermer la porte qu’elle se jette contre moi et se met à sangloter. Elle reste ainsi quelques instants. Ici, le silence plus fort que les mots, je ne lui pose aucune question. Tout en maintenant sa tête contre mon épaule, je la dirige vers le canapé ; elle s’affaisse comme une masse. Puis, ses sanglots ralentissent doucement laissant apparaître un visage désespéré. En reculant, je bute contre un objet, c’est une imposante valise en tissus, je ne l’avais même pas remarquée.
--- Je m’excuse dit-elle, je vous embête, je voulais juste vous demander si je pouvais passer la nuit dans le petit appart dont vous m’aviez parlé au commissariat.
Il est évident qu’elle vient de subir un traumatisme et je ne lui pose aucune question. Je m’interroge cependant sur la nécessité d’appeler un médecin ? Voyons d’abord ses plaies.
--- Dans un premier temps, je vais m’occuper de ta lèvre, lui dis-je, et aussi te mettre de la pommade sur les parties bleues de ton visage.
Je vais dans la salle de bain et ramène ma trousse à pharmacie. Elle contient un peu de tout, je sors une pommade à base d’arnica et en applique sur les parties rouge bleuté de son visage. Elle ne dit rien mais je suis persuadé que la douleur est intense. Ensuite je lui nettoie sa lèvre, j’essaie de mettre un pansement mais ça ne va pas. Elle me regarde et tente un léger sourire en guise de remerciement.
--- Tu veux que j’appelle un médecin ?
--- Non, dit-elle ça va aller et je vous ai assez dérangé, je suis vraiment navrée !
--- Tu parles ! Pour une fois que l’occasion m’est donnée de me rendre vraiment utile ! Je ne voudrais pas être indiscret, mais… Tu n’as pas d’autres blessures ? Sur ton corps je veux dire.
--- Non, seulement au visage, et quelques coups aux jambes mais ça ne doit pas être bien grave.
Elle se redresse, retire son pantalon doucement et le balance à terre. Des bleus de différentes grosseurs apparaissent sur ses deux jambes. Je lui passe le tube de pommade.
--- Tu peux aller dans la salle de bain lui dis-je, tu seras plus à ton aise.
--- Non, dit-elle, je vous ai assez dérangé, si votre proposition tient toujours, je vais me rendre dans votre petit appart. C’est à côté je crois ?
--- Non, non, tu restes ici cette nuit, tu prendras ma chambre, moi je vais m’ouvrir le canapé. Tu as faim ? Bouge pas je te fais… Un chocolat, ça te dit ?
--- Mais vous dérangez pas pour moi… Oui un chocolat, si vous voulez.
Myriam boit son chocolat accompagné de céréales et termine avec deux yaourts. Je comprends, en plus la pauvre avait une terrible faim mais elle n’osait rien me demander. Il est plus d’une heure du matin quand nous nous couchons. Par contre, ce putain de canapé me fait un mal de dos pas possible! C’est quand même dommage de devoir passer la nuit dans ce canapé pourri alors qu’il y a un bon lit dans l’appart juste à côté !
Lundi matin. J’ai mon premier rendez-vous à onze heures et ça me laisse du temps. En général, je me lève tôt, c’est mon habitude, je voudrais parler avec Myriam avant de partir et voir dans quel état se trouve son visage et ses jambes. Je descends jusqu’à la boulangerie et prépare le petit déjeuné. Quand j’ouvre la porte de ma chambre, Myriam dort comme un bébé. En la voyant ainsi, je ne peux m’empêcher un léger sourire, je la sens heureuse. Pauvre fille ! Je pose le plateau sur la table de nuit. Elle dort si bien que j’hésite avant de la réveiller, mais il le faut.
--- Myriam ! Myriam ! Réveille-toi.
Myriam se retourne plusieurs fois, semble perdue.
--- Où est-ce que je… Ah ! Je me souviens. Aïe, j’ai mal partout !
--- Regarde ! Je t’ai préparé un bon petit déjeuné. Dis-je.
--- Wouha, c’est kool ! Vous êtes gentil ! Je peux vous dire « tu » ?
--- bien sûr, appelle-moi Alex.
--- Tu dois te demander ce qui m’est arrivée hier ? A propos je ne t’ai
même pas remercié ! Ah je suis nulle !
--- Non, je ne te demande rien, si tu as envie de me dire quelque chose,
te gêne , tu fais comme tu veux mais t’es pas obligé.
--- je ressens le besoin de raconter ce qui m’est arrivée à quelqu’un, dit-elle. C’est trop lourd pour moi toute seule.
Et elle commence ainsi…

Fin du 6° épisode BOKAY


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