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Henri Meschonnic sur Claude Vigée
communautés [ écrivains israéliens d`expression francaise ]
AVEC CLAUDE VIGÉE C’EST L’OREILLE QUI VOIT

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par [marlena ]

2004-11-12  |     | 



"Claude, tu portes la prophétie et le serment d'Isaïe (49,18) dans ton nom même, Vigée, 'haï ani, « moi vivant », et c'est, pour moi, la parabole du rapport entre le poème vivant, le vivant du poème, et le texte biblique comme prophétie du langage et de tout ce qui est à faire exister et qui n'existe pas, dans les sociétés. C'est même, je dirais, l'éthique et la politique du poème.
Le poème est alors sous le signe de la prophétie. Ce qui, paradoxalement, rend un rôle nouveau au biblique. Et contribue à rouvrir ce qu'une théologie traditionnelle nous avait enseigné, que l'ère de la prophétie est close. Et moi je n'en crois rien.
Le rapport entre le juif et le poème va plus loin encore, puisque dans Délivrance du souffle (1), on lit: «Être juif ou poète, c'est tout un; / Jacob et poésie / ont le même destin.» Aussi, c'est une « mission » d'être poète (dans Le passage du vivant(2), p. 120). Et de l'«obligation de transmuer le langage mort, la langue morte, la langue de bois dans laquelle nous sommes obligés de vivre» sort « le rythme», comme récompense (ibid.). Les fausses réactions consistent à transcendantaliser le langage, «en le rendant obscur, incommunicable, inutile» (p. 121), et «si l'on n'écoute pas les poètes, c'est d'abord qu'il n'y a rien à écouter» (p. 122). Alors «le rôle véritable d'un poète rejoint, en un sens, celui du prophète dans l'Israël antique», pour arriver à «je danse donc je suis» (p. 123) - et il y a un mot que je n'ai jamais trouvé que chez Claude Vigée, c'est « pulsant », - «la substance vivante et pulsante de notre existence intime» (p. 132), et d'innombrables fois: «le noyau authentique et pulsant de la parole humaine première» (p. 145), à propos du dialecte d'enfance. Et dans le 'hai ani, il y a une revendication de vivre contre les drogués de la mise à mort et de la haine de la vie, c'est le rapport même entre la parole et la vie, et ainsi, invisiblement, c'est une parabole du poème, dans la mesure où le poème n'est un poème que s'il est la transformation d'une forme de vie par une forme de langage. En cela, le poème est un acte de résistance. Et c'est toute une vie qui se dit là, avec ses tendresses et ses nostalgies. Et je tombe sur cette phrase: «quelque part en nous commence pour toujours le matin du monde» (3) .
Je dirais aussi que toute la part d'écriture de la vie - c'est le sens étymologique du mot « biographie » - est contenue dans le nom même, alors, de Claude Vigée - j'ai vie. Du coup, je le vois, je te vois comme un personnage biblique même, puisque le nom des acteurs de cette fable des naissances - toldot - du monde sont des calembours ambulants, Yitz'haq, « il rira », Yaaqov « il talonnera ». Autobiographie: c'est s'écrire soi-même. Ce qui contribue à neutraliser deux oppositions canoniques et certainement mal pensées : l'opposition entre prose et poésie, l'opposition entre le roman de la vie, et le poème de la vie, opposition qui se résout aussi dans et par l'oralité, si je la définis une histoire qui arrive à la voix, et alors tout poème est épique, et disparaît l'opposition entre lyrisme et épopée...
Et c'est aussi, si je peux dire, l'auto-simultanéité des moments de la vie qui est inscrite dans le présent de 'haï ani. On lit dans Le panier de houblon: «Tout est simultané dans un crescendo invincible» (4). Ce qui retrouve aussi l'intuition géniale de Saint Augustin qu'il n'y a pas le passé, le présent et le futur, mais trois présents : le présent du passé, le présent du présent, le présent du futur. Le récit aujourd'hui du passé est l'aujourd'hui du passé. Ce que théorise un passage de La lune d'hiver, disant que la vie est «existence successive, en même temps qu'éternellement présente à elle-même dans l'acte créateur » (5) : Et il parle encore de « simultanéité achronique » (6), et cite: « Toujours est toujours maintenant ».
Profondément embiblé, le sens du temps est ici encore expressément marqué par la grammaire: «Je crois que je suis hanté, dans mon inconscient, par la grammaire juive fondamentale, la loi du temps juif, qui nous rapproche en s'éloignant. Il nous projette dans le passé défunt et déjà nous annonce l'avenir inouï. En effet le « vav conversif », introduit un passé qui devient un futur, ou un futur qui se mue en passé» (7). Et dans Vision et silence dans la poétique juive: « Écrire : une danse de l'instant autour de l'éternité» (8). Intuitions qui ont «largement précédé l'étude» de l'hébreu (9). La recherche du sens de la vie passée vie passe et repasse sans cesse par certains moments de la Bible qui deviennent des paraboles, comme dans La lutte avec l'ange et le commentaire d'André Neher.
Donc je dis : C’est l’oreille qui voit - ce qu’il va falloir prouver…
Un ensemble de réflexions amies a déjà été réuni sous le titre L'Œil témoin de la parole, et David Mendelson y rappelait dans la préface que c’était, de la part d’Evy et de Claude Vigée, un clin d'œil, une allusion à l'expression biblique - qu'il estimait connue, «et tout le peuple voit les voix, vekhol ha'am roim et-haqolot» (dans Exode 20, 18), mais aucune traduction française ne la donnait à lire (à part celle d'Edmond Fleg en 1963, reprise par André Chouraqui), et encore, - c'est un détail, mais un dicton subtil dit que le bon Dieu est dans les détails -, Fleg disait «tout le peuple voyait les voix» et «le peuple vit», tout cela au passé – mais dans le texte hébreu c’est au présent d’abord, ensuite au passé, vajâré ha/am, « et le peuple a vu » ; quant à Chouraqui, comme il met tout au présent, «tout le peuple voit les voix» et ensuite aussi «le peuple voit», il tue l'opposition passé-présent qui fait la force du présent... Donc, pour toutes les oreilles en français, l'original hébreu est remplacé par «entendait les tonnerres» (Le Maistre de Sacy, Ostervald, Segond), ou «fut témoin de ces tonnerres» (Le Rabbinat), «voyant ces coups de tonnerre» (La Bible de Jérusalem), ou «voyait les tonnerres» (Dhorme) ou «percevait les voix » (TOB); et ainsi était et reste pour la plupart effacé à la fois la voix et le voir, et les gens croient encore qu'ils lisent la Bible, quand ils la lisent en français, alors qu'ils ne lisent pas une traduction de l'hébreu-Bible, ils lisent le signe. Ainsi soit-il. Et cette expression de l'oralité revient et circule dans l'écriture même de Claude Vigée. Ainsi, dans Journal de l'été indien : « Ne sais-je pas aussi, de science foncière, que tout ce qui surgit dans le monde n'est que le prolongement glorieux ou fatal de cet écho dont quelquefois je vois en moi-même le son originel, dont mes oreilles parfois entendent la lumière ? » (10) - qui continue aussitôt par cette conscience du poème: «La création poétique, pour moi, signifie justement cela: écouter fidèlement le silence, servir d'ouïe au fleuve puis en témoigner, le muer en paroles ».
C’est en ce sens que le poème fait le poète.
Mais il est indispensable d'ajouter une précision qui change tout, à ce primat de l’écoute. C'est que dans l'ensemble grec-chrétien des représentations du langage qui est le nôtre, c’est un dualisme généralisé qui prédomine seul et empêche d’entendre autre chose – c’est le dualisme du signe : du son et du sens, et puis l’unité du mot - le règne du discontinu, qui a toute sa suite cohérente : l'opposition de l'écrit et de l'oral, l'opposition de la voix vivante et de la lettre (morte ou qui tue), l'opposition du corps et de l'âme, du langage et de la vie, des mots et des choses, de la société et de l'individu, de la majorité et de la minorité, de l'Ancien et du Nouveau Testament. Tout cela, une seule cohérence du discontinu.
Mais si on part de la Bible ; et spécialement des ta/amim dans la Bible, la notion de rythme change, ce n'est plus une alternance, pan-pan, d'un temps fort et d'un temps faible, c’est l’organisation du mouvement de la parole dans le langage, à partir de quoi il n'y a plus de discontinu, mais le continu du corps-langage, et dans l'oral ce n'est plus du son, c'est du sujet qu'on entend, une historicité qui s'invente, et qui invente et impose de penser ensemble le langage et la vie, le langage - le poème - l'éthique et le politique.
C'est tout cela que détermine bibliquement l'écoute.
Or c'est à Claude Vigée que je dois le bonheur - entre autres - que c'est lui le premier qui m'a signalé une autre expression, tout aussi extraordinaire, et peut-être plus encore, pour ses conséquences sur le poème et le langage, et c'est en hébreu, vehachir mechorer, dans le 2ème livre des Divré hayamim (Chroniques chapitre 29, verset 28), je traduis: «et le chant est qui chante», - mais là aussi, en français, vous ne l'entendrez dans aucune traduction, et d'ailleurs, dans aucune langue européenne, que je sache ; et ça va, (je vous épargne la liste complète), du Rabbinat: «les chants s'élevaient», Dhorme : «on chanta des cantiques», la Bible de Jérusalem: «chacun chantant les hymnes», mais aussi bien, c'est-à-dire aussi mal, Chouraqui, avec le «poème poétise»; et je sais que ce que Claude Vigée entendait, là, et m'a donné à entendre, à écouter - c'est l'intimation première: «chema', écoute» - c'est, par une coïncidence qui n'en est pas une, parce que ce n'est pas le hasard qui intervient ici, mais le sens profond du poème, dans ces deux mots bibliques, «et le chant est qui chante», j'entends deux mots de Mallarmé qui, à ma connaissance, malgré un siècle de mallarméisme, n'ont jamais été cités, ni entendus comme ils devaient l'être, c'est, dans Crise de vers, «le poème, énonciateur».
Et alors tout ceci déclenche une réaction en chaîne, c'est l'écho de l'intuition de Maïmonide quand, dans ce qu'on appelle le Guide des égarés, il observe que chez Jérémie la vision est une audition, il voit «ce que le nom de la chose vue rappelle par son étymologie ou par son homonymie, de manière que l'action de la faculté imaginative consiste en quelque sorte à faire voir une chose portant un nom homonyme». Avec ces deux exemples: chez Jérémie (1, 11 et 12), qui voit makkel chaked, «une branche d'amandier», qui en réalité fait écho à choked, « je veille » - autrement dit en déduire «je suis vigilant»; et chez Amos, « quand Amos voit kelouv qaïts (8, 2) «une corbeille (de fruits) d'été » - Maïmonide dit: «c'est pour en déduire l'accomplissement du temps; et il dit : car le qets (ou le terme) est venu». Allusions qui valent même quand les lettres du mot sont interverties… Je me demande d'ailleurs, si dans le titre même de l'autobiographie Un panier de houblon il n'y avait pas, enfouie, la corbeille d'été kelouv qaïts…, car le panier est rempli de «fruits destinés à ses arrière-petits-enfants» (11). Ainsi l' œil et la parole sont dans une relation de poème, et j'ai envie d'y impliquer la prophétie, quand il y a des yeux dans la voix, et de la voix dans les yeux, du regard dans l'écoute et de l'écoute dans le regard.
Alors, en ce sens, on pourrait continuer, et entendre dans le poème (mais ceci oblige à être plus rigoureux que beaucoup sur ce qu'on appelle un poème), entendre dans le poème une prophétie du langage, entendre et voir dans le rythme comme goût, ta 'am, du langage une prophétie de ce qu'il y a à penser, à découvrir, à entendre dans le langage et que peut-être nous entendons sans savoir que nous l’entendons. Et c'est ici qu'intervient le rôle d'une écoute de l'écoute: arriver à savoir ce que nous ne savons pas que nous entendons, ce que nous ne savons pas que nous voyons, et que nous faisons, par le langage.
En ce sens aussi, il y a une malheureuse et inévitable concaténation (c'est le mot, que j'emploie exprès, de Spinoza), et que présente bien l'expression devenue fameuse de Marina Tsvetaïeva: «Tous les poètes sont des juifs», vse poety zydy - en réalité elle disait: «Tous les poètes sont des youpins», et dans notre monde installé depuis dix-sept siècles dans la perfidie chrétienne, cela voulait dire qu'ils sont des exclus, des parias, des personnes déplacées - l'incarnation même de l'utopie, en ce que l’utopie est ce à quoi la société bien-pensante ne fait pas de place, et c'est l'affinité entre l'utopie et la prophétie, alors, pour moi, l'enchaînement est le suivant: le rythme (au sens de l'organisation du mouvement de la parole, au sens des ta 'amim), le rythme est le juif du signe, le rythme de la Bible est le juif du juif, le poème est le juif du langage. C'est-à-dire aussi la prophétie du langage. Son pouvoir de refus et de révolte, l'envers violent de son rejet - et on y retrouve, comme disait Marcel Dubois dans L'Œil témoin de la parole, «une parabole de la condition humaine» (p. 23). Situation qui permet de comprendre la nécessité de ce qu'on appelle « l'humour juif »: le cordonnier est mortel, le juif aussi.
C’est ce qui dynamite la pseudo-opposition entre particularisme et universalisme, ce cliché théologico-politique tellement utilisé sur le dos des juifs, et qui se résout, de manière très classique, de Montaigne («Tout homme porte en soi la forme entière de l'humaine condition») jusqu'à Pierre Emmanuel, qui parlait du «singulier universel». Alors le juif errant est la parabole de l’homme errant. Mais tout cela impose de repenser l'héritage théologico-politique, et contrairement à ce qu'on peut lire chez la plupart, qui ne font pas la différence, il y a à ne plus confondre le sacré, le divin et le religieux.
Pour reconnaître ce scandale, que le religieux est une catastrophe arrivée au divin, parce qu'il est la captation et l'appropriation du divin, et contrairement à l'étymologie chrétienne de Lactance, de la religion comme lien, lien à Dieu et (c'est son extension chez Durkheim) lien entre les hommes, la religion est ce qui divise le plus les hommes entre eux, en ce qu'elle est inévitablement le théologico-politique. Et on comprend très bien pourquoi en 1956 les autorités rabbiniques n'ont pas voulu casser le 'herem prononcé trois siècles plus tôt contre Spinoza, parce qu'il était (à ma connaissance) le premier à penser le divin hors du religieux. Ce pourquoi on le traitait d'athée. C'est aussi ce que je ressens quand je lis chez Claude Vigée: «on ne fait qu'accentuer le malaise à force de le voiler pieusement, de taire ses causes profondes» quand on émousse «les arêtes de la contradiction», «en brouillant les contours» (p. 24 de L'Œil témoin de la parole) à propos du ratage qu'on appelle le « judéo-chrétien »…
Dans tout cela, tout ce mouvement « pulsant », et plein de surprises heureuses, il y a l'unité qui tient vivante l'enfance dans le grand âge, et qui fait aussi bien les moments de coïncidence entre la nostalgie et les rythmes d'accord avec la chanson ancienne, comme dans le vers: Dans l'arrière-pays de l'autrefois perdu (12), que la fraternité avec les poètes, les vrais, comme les très belles pages sur Benjamin Fondane, au début de Passage du vivant, dont tu cites: «je ne suis qu'un témoin» (p. 15) - et l'affinité avec les poètes traduits: Nathan Katz, Shirley Kaufman, en particulier.
Oui, dans tout cela, c'est l'unité du vivant qui écoute. Ce n'est plus le puits de la'hai roi, c'est la'hai' chom'i. Le vivant qui m'écoute !

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(1) Flammarion, 1977, p. 38.
(2) Éd. Parole et Silence, Paris, 2001.
(3) L'Œil témoin de la parole, Éd. Parole et Silence, Paris, 2001, p. 36.
(4) Cité dans L'Œil témoin de la parole, p. 59.
(5) Cité dans L'Œil témoin de la parole, p. 62.
(6) Cité dans L'Œil témoin de la parole. p. 63.
(7) Cité dans L'Œil témoin de la parole, p. 72.
(8) L'Harmattan, 1999, p. 197.
(9) Francine Kaufman, L'Œil témoin de la parole, p. 72.
(10) Cité dans L'Œil témoin de la parole, p. 50.
(11) L'Œil témoin de la parole, p. 54.
(12) Dans La danse dans le grenier aux fripes, Le passage du vivant. Parole et Silence, Paris, 2001, p.92

Henri Meschonnic: poète, linguiste, théoricien de la traduction; traducteur de la Bible; auteur de nombreux essais sur le rythme poétique

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