Eugène Ionesco est mort à 94 ans en 1994 et, dix ans après cette disparition, il n'y a pas de purgatoire pour ce dramaturge franco-roumain qui intéresse des personnalités théâtrales de générations différentes.

En cette rentrée 2004, son oeuvre est même à l'honneur dans deux théâtres majeurs de la capitale, en dehors du temple parisien de Ionesco, la Huchette où chaque soir, sauf le dimanche, on joue "La cantatrice chauve" à 19H et "La leçon" à 20H.

Michel Bouquet fait, depuis début septembre, à 79 ans un retour sur les planches à l'Hébertot dans "Le roi se meurt", pièce créée en 1962.

Le Théâtre de la Ville ouvre sa saison 2004-2005 en accueillant une production de la Comédie de Reims du "Rhinocéros" (1958), dans une mise en scène d'Emmanuel Demarcy-Mota (20 septembre-8 octobre).

Michel Bouquet avait déjà joué, il y a dix ans, Bérenger 1er, le roi qui se meurt dans la pièce. Lui qui a servi des dramaturges contemporains qui comptent -Anouilh, Beckett, Pinter, Thomas Bernhard-, il considère que Ionesco est peut-être le plus grand par son "universalité".

Le comédien a retrouvé comme metteur en scène Georges Werler qui établit un juste équilibre entre farce et métaphysique, dans un décor d'une sobriété exemplaire signé Pace.

Son Bérenger est un vrai bébé-vieillard : les moindres des gestes, des démarches, des expressions du visage et de la voix, sont mises au service de l'interrogation sur la vieillesse, la maladie et la mort qu'a signée Ionesco. Il est entouré principalement par Juliette Carré et Valérie Karsenty dans les personnages des deux reines, la première déjà présente au côté de Michel Bouquet il y a dix ans.

Metteur en scène trentenaire, Emmanuel Demarcy-Mota revient aux orgines théâtre de l'absurde avec "Rhinocéros" dont le personnage principal est une sorte de Candide alcoolisé et débraillé, confronté à un étrange phénomène, la métamorphose progressive de toute une population en "bêtes immondes".

"Ionesco, commente Emmanuel Demarcy-Mota, joue avec le fantasme de destruction de notre monde bien organisé qui en un instant peut exploser. +Rhinocéros+ se crispe autour d'une immense angoisse intérieure. Mais le plus étonnant, le plus passionnant est la façon évidente dont cette angoisse se mêle aux glissades délirantes de l'écriture, à la loufoquerie d'Ionesco, à son génie du syllogisme, à la virtuose des répétitions, des dérapages..."

"Cet homme, poursuit-il, est un grand dramaturge et la construction de ses pièces offre de l'espace à l'invention, installe un climat d'étrangeté qui empêche de se laisser couler dans les habitudes".

Que Inesco soit un "grand dramaturge", l'équipe de la Huchette n'en doute pas: elle y a célébré fin juillet la 15.000e représentation depuis 47 ans de "La Cantatrice chauve", un record absolu sur les planches en France.

lundi 13 septembre 2004, AFP.