Installé dans un petit atelier surchauffé et encombré de la Médina de Tunis, derrière une multitude de minuscules flacons colorés, Slim fait de la peinture "sous verre", étalant minutieusement avec son fin pinceau sur une paroi translucide une peinture rouge qui prendra peu à peu la forme d'une pomme.

"Le verre doit être très propre et les peintures très fluides pour donner l'impression d'un vitrail", explique-t-il en s'essuyant le front.

Slim fait de la peinture "sous verre", une technique qu'il perpétue pour le plus grand bonheur des Tunisiens mais surtout des touristes, une aubaine pour les artisans au souk de la Médina.

"En ce moment, Adam et Eve ont beaucoup de succès, je fais le serpent bien vert et la pomme bien rouge et ça plaît aux touristes, souvent plus que certains thèmes empruntés à notre propre histoire", explique-t-il.

Comme Slim, ils sont encore quelques centaines à perpétuer cet art populaire, apparu il y a deux siècles en Tunisie, dans la ville de Sfax (centre), sur les rivages de la Méditerranée.

La technique de la peinture sous verre a commencé à se répandre dès le 14ème siècle dans tout le bassin méditerranéen et même bien au-delà, puisqu'elle est très répandue au Sénégal.

En Tunisie, elle a été introduite sous l'impulsion d'une Ecole de peintres et portraitistes turcs, à laquelle s'est ajoutée l'influence de peintres italiens venus à Tunis au 18ème siècle.

Elle est marquée par l'influence syro-égyptienne et même si la tradition musulmane prohibe la représentation humaine, les Tunisiens n'hésitent pas à représenter les héros de l'histoire musulmane.

Ces influences étrangères s'estomperont vite et laisseront place à une production originale, spécifique à la Tunisie, à ses contes et légendes et au culte des Saints dans ce pays pour devenir une expression d'art populaire à caractère religieux.

Dans un style naïf et très coloré, les artistes tunisiens peignent la conquête de l'Ifriqiya par les musulmans, des scènes empruntées à la vie du Prophète Mahomet, son ascension sur un cheval ailé, etc.

Certains artistes ont toutefois entrepris, depuis quelques années, de rénover cet art et de faire des oeuvres plus abstraites, tel Youssef Reqiq, peintre sous verre en vogue, qui expose dans la plus belle galerie de Carthage (banlieue nord de Tunis).

"J'utilise des petits tubes de peinture à l'émail qui coûtent très cher mais qui ont l'avantage de créer des reliefs dorés ou argentés du plus bel effet", explique-t-il installé en fin d'après-midi à une table, sur la terrasse de sa petite maison de la banlieue chic.

Il est entouré de ses oeuvres, très colorées et souvent de grand format, dont la seule concession au figuratif est l'emploi de la calligraphie arabe.

Les oeuvres de Youssef Reqiq sont d'un prix élevé, pouvant atteindre 1.200 dinars (720 euros), contrairement aux petites oeuvres faites en série et que l'on trouve dans tous les souks des villes tunisiennes, vendues à 20 dinars (12 euros).

Enfin, d'autres artistes tunisiens ont entrepris de réaliser des oeuvres qui n'ont plus seulement une vocation décorative mais aussi utilitaire, tels les miroirs à motif peint, ou des services pour le thé à la menthe.

Ils contribuent ainsi, par des inspirations nouvelles ou de nouveaux matériaux, à rénover un art dont les oeuvres, aux thèmes répétés en séries et à l'infini, avaient fini par perdre beaucoup de leur charme pour devenir de simples chromos.

Quant aux peintures sous verre anciennes, elles sont devenues de plus en plus rares dans les boutiques d'antiquités et de brocante des médinas: fragiles du fait de la nature du verre et de la peinture qui craquelle au fil des ans, elles ont quasiment disparu, sauf pour les collectionneurs avertis.

dimanche 18 juillet 2004, AFP.