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RUTH HADJAJ – REICHELBERG (1940-2006) - UN CHEMIN DE LUMIÈRE DANS LA NUIT
communautés [ écrivains israéliens d`expression francaise ]
Claude Vigée (Continuum no 4)

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par [marlena ]

2007-05-31  |     | 



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“La mémoire est douleur !” s’écrie dans son Cántico le poète espagnol Jorge Guillen. La prise de conscience quotidienne de la perte d’une amie si proche, d’une confidente des beaux comme des mauvais jours, et presque d’une jeune sœur qui a partagé les joies et les peines de notre vie pendant quatre décennies à Jérusalem, nous afflige, Evy et moi, plus intensément encore ! Notre tristesse s’affronte à la cruauté d’un destin qui veut que l’ancien maître, très avancé en âge, survive à une de ses plus brillantes et fidèles étudiantes d’autrefois.
Un de mes premiers souvenirs de Ruth Hadjaj-Reichelberg nous ramène au début des années soixante de l’autre siècle, quand nous étions, comme elle et sa famille, de nouveaux venus en Eretz-Israël restauré. Nous avions décidé avec une poignée d’étudiants en français de l’Université hébraïque, d’entreprendre un grand voyage d’exploration vers le sud encore mal connu du pays de Canaan, en fonçant vers la minuscule Beer-Sheba d’alors. C’était une simple bourgade construite par les autorités ottomanes, au centre de laquelle se tenait tous les jeudis le marché bédouin du Néguev central. J’ai décrit ce périple épique dans le premier chapitre de Moisson de Canaan (Flammarion, 1967). Ruth, que nous appelions encore Denise, faisait partie de ce groupe joyeux d’étudiants amis mués en explorateurs de la terre promise nouvelle. Elle était âgée alors d’une vingtaine d’années, dans toute la fleur de sa beauté. Nous lui avions réservé une place dans notre petite Aronde, qui roulait en tête de la caravane. Elle nous attendait ce jour-là près de la sortie de Jérusalem, en contre-bas des collines peuplées d’immigrants de fraîche date où elle habitait alors avec sa mère et sa tante. Comme si c’était hier, je la vois encore avec les yeux de l’âme : saisie de profil, avec sa silhouette de jeune fille svelte, sa lourde chevelure sombre, assise sur la petite valise au bord du chemin creux qui descend de Jérusalem vers les maisons anciennes d’Ein Karem. Pour se protéger du soleil aveuglant du matin d’été judéen, elle patientait, accoudée contre un rocher, à côté de la route, enveloppée dans une vaste keffiah blanche. Elle m’avait fait penser à ce moment-là aux porteuses d’eau immobiles, à l’expression hiératique et songeuse, qu’offrent à notre méditation certains bas-reliefs de la statuaire antique : une caryatide muette de l’avenir.
A peine échappée aux drames coloniaux récurrents qui avaient assombri son adolescence en Algérie, Ruth était restée dans l’Israël renaissant de ses cendres une fille du désert intense et volubile, toujours prête à l’échange, au rire, au dialogue venu du fond de l’être, dans un don de soi spontané qu’elle prodiguait sans compter. Le souvenir poignant de ces heures à la fois angoissantes et heureuses - celles des années d’avant la Guerre des Six Jours - me hante au moment où j’écris ces lignes : mais c’est pour aggraver la peine que nous ressentons dès qu’il envahit notre pensée, lorsque nous éprouvons dans sa rigueur le poids du manque et du vide, l’aiguillon de l’absence que nous laisse aujourd’hui sa mort prématurée, après de longues et cruelles souffrances.
Au cours de tant d’années, défiant malgré notre âge avancé les feux de la canicule moyen-orientale ou bravant les vents glacés de l’hiver en Judée, nous avons Evy et moi répondu avec joie à l’appel répété presque chaque semaine, de l’hospitalité légendaire de Ruth, d’Arié et de Tamar. Descendant à pic, puis remontant gaiement la pente de la ville supérieure de la Géhenne qui mène derrière les jardins du consulat de France, jusqu’à la porte de Jaffa, on enfilait les ruelles étroites du Souk pleines de la senteur des épices, puis celles du vieux quartier juif rénové. Combien de soirées de Chabbat - (souvent passées en compagnie de Bambi et de Léon Ashkenazi - Manitou) - combien de célébrations vécues ensemble, lors des fêtes d’automne à Jérusalem, dans la magnifique souccah érigée sur la haute terrasse des Reichelberg, qui dominait la cité ! D’un seul coup d’œil, on y embrassait toute la vieille ville, depuis les deux mosquées étincelantes, couronnées d’or et d’argent, du Mont du Temple jusqu’au Mont des Oliviers semé de pierres tombales innombrables ; puis, au-delà de la vallée du Cédron, les vallonnements dorés du désert de Juda qui s’ouvre au loin sur les rivages bleutés de la mer Morte et Jéricho, adossées à la muraille violette des monts du Moab, à l’orient de nos rêves. Comme tout cela me paraît soudain irréel et lointain, à jamais hors d’atteinte, comme l’est devenue Ruth elle-même ! ... Il n’est pire peine, soupire le Dante, que le souvenir des jours heureux dans le temps du malheur. Mais ce souvenir-là nous reste. L’empreinte demeure de la forte personnalité de notre amie, la trace en nous de sa vie faite à parts égales de générosité de pensée et d’angoisse du cœur. Je souhaite que l’âme éprouvée de Ruth rejoigne maintenant et pour toujours dans le sommeil de la mort l’état de plénitude décrit dans son beau livre sur Jonas, où elle évoque à la suite du Rabbin Nahman de Bratslav la mise en sommeil d’Adam, d’Abraham, de Jacob et de Jonas lui-même. “Le sommeil est une plongée totale dans la foi qui traduit l’adhésion à la seule volonté divine, l’attachement inconditionnel et immédiat, l’apprentissage d’une confiance absolue, et constitue pour l’être endormi par Dieu un ressourcement total, comme celui de l’embryon dans le matrice maternelle. Le sommeil opère le passage du voilé au dévoilé ...” (p. 69)
Méditant ces lignes, je dédie à la mémoire de Ruth ce bref tercet, comme un geste de ma main lancée vers son au-delà :

Dans nos cœurs, en secret, les ombres sont présentes :
Silencieusement nos amis de Judée
Pour nous savent tisser un chemin dans la nuit.

*
Parmi les belles et profondes études consacrées à Calderon, Cervantès, Claudel, Camus, le prophète Jonas, que Ruth nous laisse en héritage afin de nourrir encore notre pensée, en son absence, comme elle le faisait hier par sa parole et sa vivante présence, je voudrais clore cet hommage en commentant quelques courts passages de son éclairante édition de L’Aventure prophétique, une étude centrée sur Jonas fils d’Amitaï, Le Menteur de vérité (Albin Michel, Spiritualités Vivantes, 1995, pp 53, 68, 69, 166-167). Dans ces lignes, nous la retrouvons toute entière, et nous nous y reconnaissons instantanément nous-mêmes. En effet le Jonas de notre amie Ruth, c’est chacun de nous vu dans le miroir de l’invisible.
Evoquant dans son introduction la théophonie du Buisson ardent, où Dieu s’adresse soudain à Moïse en empruntant génialement la voix de son père Amram, “C’est du plus profond de soi que se fait l’emprise du Dehors. L’autre se fait tellement moi qu’il en devient plus moi-même que moi”, selon les termes que l’auteur reprend ici, entre autres, à Victor Hugo et à Paul Claudel. Etudiant en profondeur les traces juives cryptées qu’elle décèle patiemment dans le Don Quichotte, Ruth nous rappelle que le nom même de Cerv-antès nous livre peut-être le secret mal enfoui de son âme marrane : Don Miguel n’est-ce pas aussi “le cerf de Judée”, le cerf judaïque immémorial, le Tsvi qui est l’incarnation emblématique la plus vivante, et donc la plus vulnérable, du peuple d’Israël ? Partout chassé, blessé, traqué, l’être même de Jacob est pris dans les rêts de l’exil, élevé en Espagne sur les bûchers de la sainte inquisition catholique et romaine... Le génie du Juif en diaspora “n’implique-t-il pas la recherche du retour à l’originel” hébreu, - celui des pères depuis Abraham, Isaac et Jacob “à travers la langue d’éclatement” née des dispersions sans fin ? Pourtant, en dépit du destin chargé d’angoisse nocturne saturé d’un effroi sans recours, que subit malgré lui Jonas appelé à la prophétie sur les nations idolâtres, “nous allons être témoins, tout au long de ce récit, des transformations de la lumière d’origine en une lumière reconquise ; nous allons voir disparaître un projet, et en surgir un autre, identique et différent.”
Quelle conclusion Ruth tire-t-elle pour son salut éventuel, et peut-être le nôtre, (mais Dieu, selon la Kabbale, n’appelle-t-il pas Oulaï, Peut-être ?) - quelle leçon ultime retiendrons-nous demain de cette aventure prodigieuse dans laquelle elle s’est sentie dès sa jeunesse prophétiquement engagée pour le meilleur et pour le pire, comme le peuple d’Israël lui-même depuis l’appel du Buisson Ardent? Voici cette belle annonce de paix et de salut : “Aucune âme, aux yeux de Dieu, n’est condamnée, aucune vocation n’est inutile. Il n’y a pas d’échec. Ou plus précisément, l’échec n’est qu’un détour dans le parcours de l’homme, qui lui permet de conquérir, de nouveau, sa mémoire d’origine. Nous sommes tous concernés par Jonas, car Jonas, quel que ce soit notre rôle dans ce monde, c’est nous. Comprendre ou décrypter Jonas, c’est décrypter en nous cette nechama qui se dérobe et se livre tout ensemble, dans chacune de nos vies, la rachetant et la transformant en une merveilleuse aventure poétique.” Chère Ruth, le poète que je suis ne peut que te dire oui, et merci, au-delà de tout, dans l’attente du jour promis, peut-être.

Claude Vigée

Paris, le 16 juin 2006.















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