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Interview de Natacha Polony, lauréate de la septième bourse Cioran
article [ Société ]
www.culture.fr

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par [NMP ]

2006-08-25  |     | 











« Le plus grand féminisme, c'est celui qui est humaniste, c'est-à-dire celui qui arrive à comprendre que, bien sûr, nous avons des corps différents qui construisent une partie de notre identité, bien sûr, ce n'est pas la même chose d'être un homme ou d'être une femme, mais que l'identité est multiple. »

Pourquoi avoir postulé à la bourse Cioran ?


Parce que c'est une chance formidable de pouvoir prendre du recul, de pouvoir s'arrêter et se couper du monde pour écrire un livre. C'est mon éditrice qui m'en a parlé, et j'avais déjà entendu parler de la bourse Cioran parce qu'elle avait été remise à Philippe Muray qui est quelqu'un que j'admirais et que je regrette terriblement. C'est pour cela que je suis d'autant plus flattée de la recevoir aujourd'hui. J'y ai postulé en n'y croyant pas totalement parce que je me disais que c'était un très grand honneur et un honneur d'autant plus grand que c'est quelque chose qu'on donne pour un livre qui n'est pas encore écrit. C'est une marque de confiance, pour moi, absolument immense. J'ai postulé avec l'envie d'écrire ce livre dont j'ai déjà le plan, toutes les réflexions, mais que je n'ai pas le temps d'écrire pour l'instant étant donné mon travail et toutes les obligations que j'ai, et puis avec l'admiration que j'ai pour Cioran qui est pour moi une lecture de jeunesse, donc de très longue date. Cioran c'est quelqu'un qui accompagne beaucoup. On peut se répéter certaines de ses phrases, on peut vivre avec lui, c'est une façon de se préparer à être dans le monde. Quand on sait qu'on va affronter l'extérieur, Cioran est un compagnon...

Certains de ses aphorismes vous ont-ils aidée à affronter le monde ?

Oui, il y en a un en particulier que j'ai toujours gardé avec moi : « Vivre c'est s'aveugler sur ses propres dimensions. » Je trouve que c'est indispensable de s'en souvenir. C'est une petite phrase qui permet de relativiser énormément de choses et d'éviter la boursouflure et la fatuité.

Dans votre précédent essai, Nos enfants gâchés : petit traité sur la fracture générationnelle, vous dénoncez la "rupture de la transmission culturelle et le discours jeuniste ambiant". Pouvez-vous expliquer votre point de vue ?

Ce livre naît d'une expérience en tant que prof, en tant que journaliste sur l'éducation et aussi d'une sorte de tristesse. C'est le constat que tout ce qui faisait les références culturelles, les grands récits, les grands mythes qui construisent la civilisation dans laquelle nous vivons est en train de s'effacer parce que les générations précédentes ne les ont pas transmis aux jeunes. De même que de nos jours on cultive les tomates hors sol, là on cultive les jeunes hors sol, coupés de toutes racines. Or on ne peut pas vivre, au sens de vivre décemment, humainement sans racines, sans souvenir de ce que l'on est, sans l'idée qu'il y a des êtres humains avant nous qui ont pensé, qui ont écrit, qui ont construit. Il est vrai que tout cela se manifeste en particulier dans l'éducation nationale qui aurait dû être le dernier rempart et qui, au contraire, a décidé d'ouvrir les bras à la modernité. Mais c'est un phénomène général dans une société de consommation et de spectacle qui a besoin de ces esprits sans mémoire pour pouvoir mieux vendre sa soupe, pour pouvoir mieux continuer à faire marcher la machine et entretenir les gens dans l'illusion que l'empire va durer mille ans. Donc on construit une sorte de présent immédiat coupé de toute référence, de toute mémoire, et la langue de ce point de vue-là joue un rôle très important puisqu'elle est aussi une forme de mémoire. J'y pense parce que Cioran est quelqu'un qui était attaché à un français très spécial, un français du XVIIe et du XVIIIe siècles. Il a choisi de s'approprier cette langue-là en abandonnant sa langue maternelle. Pourquoi ? Parce que, justement, ce français classique est une richesse et parce que c'est une façon de dire le monde et donc de le comprendre qui est essentielle. Or aujourd'hui évidemment, la plupart des enfants sont totalement privés de cette possibilité-là, leur langue est extrêmement réduite et donc c'est toute leur pensée, toute leur vision du monde qui est réduite. Donc c'est une perte de liberté terrible.

Vous avez obtenu la bourse Cioran pour votre projet d'essai sur les femmes, La fin du deuxième sexe, dont le titre est provisoire...

Oui, c'est un titre provisoire parce que le titre est ce qui vient en dernier quand on a construit exactement le livre. Un livre, ça se fait, ça se révèle au fur et à mesure. Et, finalement, le titre, en tous cas chez moi, arrive en dernier quand j'ai compris exactement ce qu'était le livre.

Il s'agit d'un portrait de la femme au XXIe siècle, "dans un esprit de remise en cause des idées reçues". Quelles sont ces idées reçues que vous allez combattre ?

On est dans une époque qui glorifie la femme comme étant le nouveau sauveur. C'est-à-dire qu'on va se sortir de tous nos péchés originels par la femme. Par exemple, l'autre jour, j'entendais Ségolène Royal interrogée par une journaliste de France 2 qui lui demandait : « Vous avez une façon originale de voir les choses, est-ce parce que vous êtes une mère de famille ? » Elle a répété trois ou quatre fois sa question. Et Ségolène Royal répondait : « Bien sûr, c'est une autre vision, parce qu'on peut avoir de l'autorité et qu'on peut dire aussi je t'aime, etc. » On retrouve d'ailleurs les théories de Sylviane Agacinsky sur le fait que la femme, parce qu'elle est mère, est intrinsèquement tolérante car elle accueille l'autre en elle. Je pense que c'est une erreur fondamentale, je ne vois pas en quoi l'enfant qu'on porte est un autre, c'est au contraire une continuité de soi-même. Par ailleurs, Freud nous a appris que le fait de comprendre que c'est un autre vient par le père qui, au contraire, sort de la fusion mère-enfant. Donc il y a tout ce discours sur le fait que les femmes vont révolutionner la politique, l'entreprise, le monde, qu'elles sont merveilleuses, qu'elles sont tolérantes, qu'elles ont plus d'amour. Mais il suffit de voir ce que donnent les femmes dans toutes les révolutions, ce que donnent les femmes quand elles sont mères de martyrs et de kamikazes pour comprendre qu'on est dans le délire le plus complet. Sauf que refuser cela est tout de suite mal vu. On est soupçonné d'être une fois de plus réactionnaire, voire favorable au phallocentrisme triomphant. Et on oublie finalement que le plus grand féminisme, c'est celui qui est humaniste, c'est-à-dire celui qui arrive à comprendre que, bien sûr, nous avons des corps différents qui construisent une partie de notre identité, bien sûr, ce n'est pas la même chose d'être un homme ou d'être une femme, mais que l'identité est multiple. J'ai sans doute beaucoup plus à voir avec un homme dont je partage les idées qu'avec une femme dont je ne partage pas les idées. Pour cela il est nécessaire de comprendre que l'identité n'est pas figée, elle est multiple, elle varie au fur et à mesure des âges. A certains âges de ma vie, le fait d'être une femme sera plus important que le fait d'être née dans tel milieu social, à d'autres moments ce sera l'inverse. Je ne pense pas qu'être femme construise uniquement ce que nous sommes. Et je ne pense pas qu'il y ait quelque valeur féminine qui soit meilleure que les valeurs masculines.

J'allais justement vous demander, pour prolonger la question précédente, s'il existe selon vous une distinction entre des valeurs féminines et masculines ?

Pour moi, c'est une construction totalement culturelle. On a décidé qu'il y avait le féminin et le masculin, que le masculin était agressif, guerrier et le féminin forcément doux, accueillant. Bien sûr, il y a des invariants, il y a, ne serait-ce que dans la construction psychologique de l'homme et de la femme, étant donné leur physiologie, des postures différentes. Mais un homme peut très bien adopter la posture féminine qu'on associe en général à la passivité alors que l'homme est plutôt actif, etc. Et la femme peut justement adopter ces valeurs qu'on prétend masculines. Tout cela est extrêmement variable. Donc venir expliquer que les hommes sont forcément agressifs, mauvais, hargneux... D'ailleurs, on commet une grosse erreur en disant que de nos jours, dans les sociétés occidentales, ce sont les valeurs féminines qui sont en train de triompher. Ce n'est pas vrai, ce sont les valeurs maternelles, ce n'est pas du tout la même chose. Nous sommes dans une société maternante où l'on entretient les gens dans leurs désirs immédiatement comblés par la consommation, avec ce jeu entre désir et frustration, parce que le désir étant toujours comblé, il n'y a plus aucune possibilité de création. Tout cela c'est l'univers maternant, ce n'est absolument pas un univers féminin. Il y a, dieu merci, des femmes qui ne sont pas mères et qui sont pour autant totalement femmes, et parfois agressives, parfois écrasantes autant que des hommes.

Grâce à la bourse, vous allez momentanément arrêter le journalisme pour vous consacrer à l'écriture de votre essai. Comment analysez-vous la différence entre l'écriture journalistique et l'écriture littéraire - ou l'écriture d'un essai ?

C'est très différent parce que dans le journalisme, on est toujours renvoyé à ce discours selon lequel la vraie écriture journalistique est très simple : c'est la vieille écriture à la Françoise Giroud, sujet-verbe-complément. Il faut supprimer ce qui est soi-disant inutile dans la langue, à savoir les adverbes, les subordonnées, etc. Il suffit de se reporter à la distinction mallarméenne : il y a l'écriture journalistique, celle qui est dans l'éphémère et qui pour Mallarmé ne valait pas grand-chose, et puis il y a l'écriture, c'est-à-dire le travail sur la langue où chaque mot est essentiel, où l'on utilise tel mot à tel endroit de la phrase parce que cela signifie exactement ce qu'on voulait dire. C'est la phrase de Rimbaud : « Ce que j'ai voulu dire, je l'ai dit littéralement et dans tous les sens. » Or quand on écrit un livre, que ce soit un roman ou un essai, même si aujourd'hui c'est devenu très rare, c'est cette langue-là qu'on utilise, c'est-à-dire une langue qui se préoccupe aussi de mélodie et de rythme. Normalement, dans la vieille tradition essayiste et pamphlétaire française, il y a une très grande qualité de la langue. C'est d'ailleurs pour cela, comme le faisait Cioran, qu'il faut se reporter au français classique du XVIIe siècle, qui est la langue la plus pointue, et donc la plus acerbe et la plus à-même de croquer l'époque avec ironie.

Pour finir, quelle est votre définition du genre de l'essai ?

C'est un écrit de conviction, d'engagement, qui porte un jugement sur une époque. Contrairement à un roman, c'est un livre qui est très ancré dans son époque. Un essai n'est pas intemporel. C'est pourquoi je n'aurai jamais la prétention d'atteindre des textes de moralistes... Cioran est un moraliste. Ce qu'il écrit, ce ne sont pas des essais, c'est une réflexion sur l'être humain. Certes, dans un essai on tente évidemment de parler de l'Homme en général. Bien sûr que dans un essai c'est une vision de l'être humain qui apparaît et une certaine idée des valeurs qu'il doit porter. Par exemple, dans Nos enfants gâchés, je parle de cette valeur grecque, « aïdôs », qui est la dignité qu'on tire du regard des autres, c'est-à-dire le fait que l'on se doit aux autres avec qui l'on vit et aux autres qui nous ont précédés et qui nous suivront, cette valeur-là est intemporelle et dit ce que je pense de l'humanité. Mais malgré tout, ce livre va mourir un jour car il n'a pas la prétention d'être valable partout et toujours. C'est en cela que l'essayiste doit rester très humble face au moraliste, au romancier et au poète.

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A voir sur le le site du Centre national du livre les conditions d'éligibilités et d'attribution de la bourse Cioran.

A voir sur le site Wikipédia la biographie, la bibliographie et quelques citations d'Emil Cioran.

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Cet article est reproduit avec l'autorisation du site
Centre national du livre

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