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Ulysse à Auschwitz : Primo Levi, le survivant. Paris : Éditions du Cerf, mai 2005
article [ Livre ]
par François Rastier , Prix de la Fondation Auschwitz

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par [NMP ]

2006-01-31  |     | 



"Si Primo Levi est partout reconnu comme figure emblématique du témoin de l'extermination, sa poésie n'a guère retenu l'attention ; elle tient pourtant une place centrale dans son oeuvre, dont la portée esthétique reste sous-estimée. Dans une langue très simple en apparence, elle dessine la figure ambiguë du survivant, elle prête la parole aux morts en vain, aux engloutis, mais aussi à des animaux méprisés, à des inanimés. Cet essai a l'ambition de reconnaître toute la portée de cette oeuvre poétique, bien qu'en opposant la littérature au témoignage on néglige encore trop souvent l'enjeu artistique de la littérature de l'extermination.
Aux proses du témoin répondent les poèmes du survivant, et cette dualité traverse la vie et l'oeuvre de Levi. La figure d'Ulysse, celui de l'Enfer de Dante, prend alors toute sa signification allusive.
Quand certains prophétisent une après-culture et une post-humanité, l'éthique poétique de Levi devient de plus en plus éclairante et nécessaire. Alors que des discours néo-apocalyptiques instrumentalisent Auschwitz pour édifier des théologies cyniques, elle dessine entre les survivants et les victimes une nouvelle alliance qui inclut toute l'humanité".

(Présentation du livre - Editions du Cerf).

***

Réponse en remerciement à la remise du prix de la Fondation Auschwitz, le 7 décembre 2005, à l'Hôtel de Ville de Bruxelles.

Mesdames, Messieurs,

Si c'est un honneur inattendu pour moi que de voir mon travail ainsi distingué , je ne souhaite qu'une chose, c'est qu'il prolonge non pas mes études antérieures, mais le propos de Primo Levi. J'ai voulu rendre justice à Levi en tant qu'écrivain, pour éviter qu'il ne devienne une icône.
Caractéristique de la culture contemporaine, l'iconisation conduit à l'indifférence, bloque la compréhension et, plus grave encore, facilite ainsi les détournements. Universellement reconnu comme figure emblématique du témoin de l'extermination, Levi n'est pas véritablement reconnu en tant qu'écrivain, comme si le témoignage devait par principe n'être qu'une relation transparente, sans rien devoir aux séductions de la littérature, comme si la stylisation inévitable de tout récit ne s'appliquait pas à l'expérience du survivant. De fait, l'analyse littéraire que j'ai conduite au début de ma recherche a pour but de rappeler, voire d'attester que Levi est un écrivain : l'oeuvre appelle et justifie ce type d'interprétation. C'est pourquoi je suis parti de la poésie, car si Primo Levi est partout cité pour ses oeuvres en prose, sa poésie n'a guère retenu l'attention ; elle tient pourtant une place centrale dans son oeuvre, dont la portée esthétique reste sous-estimée. Dans une langue très simple en apparence, elle dessine la figure ambiguë du survivant, elle prête la parole aux morts en vain, aux engloutis, mais aussi à des animaux méprisés, à des objets inanimés. Mon essai a l'ambition d'en reconnaître toute la portée, bien qu'en opposant la littérature au témoignage on néglige encore trop souvent l'enjeu artistique de la littérature de l'extermination. Aux proses du témoin répondent les poèmes du survivant, et cette dualité traverse la vie et l'oeuvre de Levi.
La figure d'Ulysse, celui de l'Enfer de Dante, le témoin englouti, prend alors toute sa signification allusive. On a décrit le nazisme comme une esthétisation du politique. L'héroïsme du guerrier (c'est à dire du tueur) serait le pendant du " grand style " que Nietzsche appelait de ses voeux. Quant à l'esthétique, on tient pour admis qu'elle ne saurait prendre en considération aucune valeur éthique. Primo Levi m'aura cependant fait comprendre que seule l'éthique peut faire médiation entre l'esthétique et la politique. Quand certains prophétisent une après-culture et une post-humanité, l'éthique poétique de Levi devient de plus en plus éclairante et nécessaire. Alors que des discours néo-apocalyptiques instrumentalisent Auschwitz pour édifier des théologies cyniques, elle dessine entre les survivants et les victimes une nouvelle alliance qui inclut toute l'humanité.

Pour éclairer la situation présente, je voudrais évoquer quelques aspects de mon expérience dans les quelques mois qui séparent la parution du livre tiré de cette recherche et la remise du prix ce soir. J'ai découvert des amis et une solidarité active. Par ailleurs à diverses reprises, je me suis trouvé dans la situation d'un juif et d'un témoin, bien que je ne sois ni l'un ni l'autre. On m'a d'abord demandé avec insistance si j'étais juif, en s'étonnant discrètement de ma réponse négative. Mais pourquoi aurais-je dû l'être ? Faut-il donc que chaque groupe, chaque religion ne s'inquiète que d'elle-même ? L'extermination concerne chacun de nous, et c'est pourquoi Levi n'a aucunement mis en avant sa judéité. Le statut du survivant n'échappe pas à cette forme paradoxale d'universalité : chacun à lire Levi peut se rendre compte que son expérience aurait pu et pourrait un jour devenir la sienne. Très vite, j'ai reçu quelques menaces de diffamation par courrier, bientôt concrétisées par la publication d'une étude copieuse qui s'achève ainsi :
" Pourvu que jamais un de ces barbares [S] ne s'avise de contraindre le fragile François Rastier, adorateur du cosmopolitisme sans visage, pourvu que jamais un de ces barbares ou une horde d'entre eux ne contraignent le pacifique professeur, comme le firent tant de fois les criminels nazis avec des rabbins, à nettoyer avec sa langue les égoûts où ils rêvent, eux, de conduire l'humanité. " Par son absurdité menaçante, cette prose qui fait de moi un rabbin outragé montre l'actualité croissante de Levi, alors même que les catégories et le langage qui ont permis l'extermination deviennent de plus en plus prégnantes dans l'espace culturel, ou du moins idéologique. Enfin, je me suis trouvé dans des écoles, devant des lycéens, comme un témoin au second degré, mais sans l'autorité héroïque qui peut dans leur esprit s'attacher aux survivants, même s'ils ne savent pas très bien à quoi ils ont survécu. Je suis convaincu, après Simone Veil, que le devoir de mémoire est d'abord et avant tout un devoir d'éducation - même et surtout quand on s'adresse à des jeunes gens qui pratiquent quotidiennement dans des jeux vidéos des massacres d'aliens envahisseurs. La menace est présente. J'ai écrit ce livre si l'on peut dire en marge d'un projet européen de détection et filtrage éventuel des sites racistes : ils connaissent une croissance exponentielle. Les théories obscurantistes du complot se diffusent. Des partis sont parvenus à participer à certains gouvernements européens en tenant des propos ouvertement xénophobes. Sans aller très loin, on trouve des pays où Le Protocole des sages de Sion et Mein Kampf se vendent dans les kiosques, où les manifestations à salut hitlérien se multiplient - non plus seulement dans les tribunes des stades. Des programmes de " purification ethnique " récemment mis en oeuvre demeurent. Des appels au meurtre voire à l'extermination s'expriment sans fard.
Levi, certes hanté par le passé, s'est vraisemblablement suicidé par pessimisme à l'égard du présent : il était affecté par l'ignorance et l'indifférence des collégiens devant qui il allait témoigner, par l'essor du négationnisme, tout ce qui le niait en tant que victime, témoin et survivant. Or, rien ne permet d'affirmer que situation soit aujourd'hui meilleure que voilà vingt ans. Certes, le silence relatif a fait place au bruit ; après un thème identitaire, l'extermination devient tantôt un objet médiatique, tantôt un simple matériau utilisable comme jadis la matière de Bretagne, voire un thème douteux de la pop culture. Dès lors, l'importance de Levi ne se mesure pas simplement à sa notoriété, mais à sa place dans la réflexion sur l'extermination : il est resté décisivement à l'écart de la koiné nietzschénne et heideggerienne qui a servi de langage à l'intelligentsia européenne et s'est mondialisée avec la déconstruction. Il demeure irréductible au discours maintenant convenu sur l'indicible et l'incommunicable, sur l'après-culture et la post-humanité ; bref, il ne donne aucune prise aux récupérations politiques ou théologiques de l'extermination. On a voulu faire d'Auschwitz une défaite de l'humanisme, du rationalisme, une suite logique des Lumières. Derrière cet essor de l'anti-humanisme grimé en post-humanisme, le rationalisme de Levi, son engagement en faveur des Lumières (la raison n'est pas morte à Auschwitz), de l'humilité scientifique, de la tolérance, de la démocratie, voire de la protection de la nature n'ont rien d'une curiosité attendrissante et légèrement surannée.
Son attachement à des principes d'humanité (qui ont pu le faire soupçonner à tort de plaider le pardon) reste exemplaire pour qui cherche la justice et non pas la vengeance. L'actualité de Levi n'est pas celle de la mémoire et encore moins de la commémoration. Certes, mon étude a paru l'année du soixantième anniversaire de la libération des camps, et cette séance se tient alors que venait de s'ouvrir le procès de Nuremberg. En ce moment délicat où la mémoire va céder définitivement la place à l'histoire, jamais peut-être ces événements historiques, n'ont-ils été si présents. L'oeuvre de Levi en témoigne ; et mon essai qui la commente n'était pas achevé qu'entrait en fonction, pour la première fois, la Cour pénale internationale.

La réception de Levi reste un enjeu international qui intéresse le sens que nous pouvons donner à notre histoire contemporaine comme à notre avenir. Je me félicite que la Fondation Auschwitz ait consacré voilà deux mois un colloque à la réception de son oeuvre en Europe ; il sera suivi en octobre prochain d'un colloque élargi sur la réception dans le monde. Dans de nombreux pays, qui ont longtemps vécu sous des dictatures militaires ou dans des démocraties populaires, l'oeuvre de Primo Levi reste à découvrir. Rien ne m'a plus fait plaisir, grâce notamment au prix qui m'est décerné, que de voir se concrétiser, parallèlement à la traduction de mon travail en Espagne, la traduction du recueil des poèmes de Levi, ainsi que du Rapport sur Auschwitz ; en outre, le projet de traduction en bulgare, alors qu'aucun ouvrage de Levi n'est encore paru dans cette langue, va s'accompagner de la traduction de Si c'est un homme. Tout cela s'adresse à l'opinion internationale, et je suis heureux que la Prix de la Fondation Auschwitz m'ait permis de participer à ce mouvement nécessaire.

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> Francois RASTIER
> Directeur de recherche
> 57, rue de Paris
> F - 94340 Joinville-le-Pont

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François Rastier, directeur de recherches au CNRS, spécialisé en sémantique, étudie l'interprétation des textes littéraires et scientifiques. En conciliant la tradition de l'herméneutique matérielle avec les développements récents des sciences du langage, son projet intellectuel entend contribuer à une sémiotique des cultures.

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