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Pablo Neruda, Jules Verne et les larmes de la Marie Céleste.
article [ Culture ]
Par Enrique Robertson

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par [NMP ]

2005-12-16  |     | 



La maison face à la mer que Pablo Neruda acquit en 1939, qu’il agrandit et décora de divers objets et meubles qu’il avait commencé à réunir là depuis une bonne décade, fut prêtée à la fin de l’année 1951, en cet été qui commençait alors, et confiée aux bons soins d’une personne de confiance connue du poète. Cette personne était – et se devait de l’être- étrangère aux opinions politiques du poète. Cette condition, dans les circonstances de l’époque, était indispensable. Neruda se trouvait hors du Chili ; exilé pour échapper à la persécution d’un apprenti-tyran déjà presque oublié. Sa maison ne pouvait rester fermée longtemps ou sembler abandonnée ; le danger qu’une quelconque nuit elle fût saccagée, brûlée ou détruite, était imminent.

Arturo Aldunate Philips et son épouse Lucia y passèrent les mois de janvier et février 1952. Le paysage côtier leur plut tellement, que ce même été, ils achetèrent un terrain dans le voisinage. Et aussi vite qu’ils le purent, ils commencèrent la construction d’un logement, qu’ils imaginèrent plutôt comme un bateau que comme une maison. Ils l’inaugurèrent fin février 1953, sous le nom de Marie Céleste. Et depuis lors, ce fut le Marie Céleste, si un jour il s’agissait d’un brick. Et la Marie Céleste, si un autre jour, le réveil se faisait en tant que goélette. Tout comme la maison de Neruda, le ou la Marie-Céleste des Aldunate Philips était né(e) en regardant la mer. Mais, comme précisa le poète, en regardant de l’autre pointe de l’île.

C’est ainsi qu’il y a un peu plus d’un demi-siècle, fut construit sur l’Ile Noire un brick-goélette qui n’en était pas un, sur l’autre pointe d’une île qui n’était pas non plus une île et n’avait pas de pointe. Ceci, qui est mais n’est pas- qui peut être ou ne pas être, est la principale caractéristique de ce que nous raconterons ici.


Dans son livre de souvenirs, Ma petite histoire de Pablo Neruda, Aldunate Phillips conte l’histoire des deux maisons. Il raconte comment et pourquoi pendant quarante ans il a maintenu une étroite, loyale et inaltérable amitié avec le poète.
Cette amitié débuta en 1939, quand à son retour de France au Chili, Neruda se mit en quête dans tout Santiago du personnage qui avait entrepris, une paire d’années auparavant, le 26 juin 1936, dans la Posada del Corregidor et dans le cadre des activités de la Société des Amis de l’Art, une discussion intitulée Le nouvel art poétique et Pablo Neruda. C’était lui, Arturo Aldunate Phillips, qui avait entrepris cette discussion couronnée d’un grand succès, reprise peu après sous forme de conférence dans le Salon d’Honneur de l’Université du Chili. (1)
C’était pour cette raison que Pablo Neruda voulait faire sa connaissance personnellement.

Peu après, le poète revint le chercher. Pour cette deuxième fois, il vint lui demander son soutien pour s’occuper des formalités face à don Carlos G. Nascimento au sujet d’un projet éditorial. Il espérait bien évidemment se mettre d’accord sur l’édition d’un livre. Mais il voulait obtenir en plus de l’éditeur, au moment de signer le contrat, une avance immédiate qui lui permît de financer l’achat très urgent d’une maison à moitié construite, vendue entre le port de San Antonio et les plages de Algarrobo. Il s’agissait bien-sûr de celle que nous avons mentionnée, et qui au fur et à mesure des années allait se transformer en sa fameuse maison de l’Île Noire. La maison - et surtout son environnement – avait fasciné Neruda de telle manière qu’il ne voulait perdre l’occasion de l’acheter sous aucun motif. Aldunate Phillips réussit positivement la médiation entre son nouvel ami et don Carlos Nascimento. Il en résulta un accord, dans lequel Aldunate Phillips s’investissait lui-même et qui rendait possible le miracle financier. 30 000 pesos d’avance sur les droits d’édition d’une sélection de poèmes – qui fut finalement éditée en 1943- transformèrent le rêve du poète en réalité. La médiation de l’ingénieur Aldunate Phillips s’était avérée nécessaire non seulement parce que 30 000 pesos représentait une somme non négligeable, mais aussi parce que Don Carlos ne pouvait décider d’aussi extraordinaires conditions pour un livre de poésies, sans compter auparavant avec l’accord de son principal associé, également ingénieur. Ce qui a dû primer pour que celui-ci, collègue de Aldunate – et qui plus est écrivain et éditeur de vocation- fût d’accord sans hésiter, a dû être son sens de l’humour très fin. Raúl Simón, puisqu’il s’appelait ainsi, signait sous le nom de César Cascabel ses célèbres articles humoristiques dans le journal La Nación . De son nom de plume, Raúl Simón rendait hommage à Jules Verne, français comme ses ancêtres. Comme tout bon lecteur de Jules Verne le sait, César Cascabel est le principal protagoniste du roman du même nom (1890). Ceci étant dit comme prétexte pour mentionner une première fois Jules Verne dans cette anti-investigation cascabelienne.

En 1953, une décade après l’apparition de la sélection de poèmes nérudiens qui était à sa charge, le rêve devint réalité, ce rêve de la maison –bateau estivale sur l’Île Noire de l’acteur du prologue de cette édition à la si curieuse gestation. Pourquoi Aldunate Philips donna le nom de Marie Céleste à sa maison n’est pas expliqué dans son livre de souvenirs. Sa lecture qui démontre que Neruda n’assistait ni au baptême ni à l’inauguration, ne laisse pas entrevoir d’indices permettant de soutenir que ce fût le poète qui l’eût suggéré. Tout comme il est possible que ce soit le contraire. Cependant, il est fort probable que la mystérieuse histoire du navire Marie Céleste ait été connue de Neruda, bien avant de savoir que Aldunate Philips avait baptisé sa maison de ce nom. Légendaire depuis le commencement, cette énigmatique histoire – telle celle du Hollandais volant ou du Caleuche chilien- réapparaît sur un mode fantomatique de temps en temps – dans des revues, des journaux et des livres- plus spécialement lorsqu’on commémore quelque date en relation avec elle. Comme personne ne l’ignore, les énigmes de ce type fascinaient Neruda. Sans savoir si c’est pertinent ou non, nous dirons que Neruda écrivit Le fantôme du bateau cargo en 1932, année où l’on célébrait le soixantième anniversaire de l’inexplicable mystère de la Marie-Céleste. Ce cas énigmatique fit beaucoup parler de lui dans tous les ports du monde et donna lieu à de nombreuses spéculations. Dont quelques une d’entre elles faites par des auteurs que Neruda lisait. Tel est le cas de Sir Arthur Conan Doyle qui écrivit sa propre version et solution du mystère en 1884 ; renseignement qu’il convient aussi de mentionner ici, car Neruda date les faits en rapport avec le cargo Marie Céleste en 1882, se basant sur le récit de Conan Doyle. Ce qui est certain, c’est que la véritable histoire eut lieu dix ans auparavant. Il est aisé de trouver dans les mémoires de Neruda davantage de preuves quant à son intérêt pour ce grand mystère. Pareil sur l’Île Noire. C’est là que se trouve la belle et célèbre figure de proue qui porte ce nom. Il existe aussi des preuves de plus petit volume qui sont mises en bouteilles hermétiquement scellées : les bateaux en modèles réduits. Avant de continuer et pour mieux comprendre ce que nous présenterons ensuite, nous mentionnerons deux renseignements journalistiques datés de novembre 1922. L’un rappela dans divers hebdomadaires de l’époque qu’un demi-siècle s’était écoulé depuis que la Marie Céleste avait quitté le port de New York le 7 novembre 1872. Peu de jours après, en haute mer, le capitaine, sa femme et sa fille, ainsi que tous les membres de l’équipage disparaissaient mystérieusement du navire ; inexplicablement et sans laisser aucune trace.
Et l’autre que le 14 novembre 1889 la jeune journaliste Nellie Bly avait entrepris son sensationnel voyage autour du monde, elle aussi au départ de New York. Le motif pour rappeler ce fameux voyage de Nellie Bly à la une des nouvelles de 1922, était que la pionnière en vue du journalisme féminin était décédée cette même année. Il ne manquait encore qu’une décade pour arriver dans le vingtième siècle, Nellie Bly fit le tour du monde en 72 jours, surpassant, en chair et en os – et surtout en os, car elle revint à son point de départ avec une fracture du pied- le record de Philéas Fogg et son valet Passe-Partout, personnages fameux du non moins fameux Jules Verne ; auteur que nous mentionnons ici pour la deuxième fois, et ce ne sera pas la dernière.

Ceci dit, reprenons le fil en relatant une anecdote que conte Aldunate Philips dans sa petite histoire de Pablo Neruda. Il s’agit là –dans le grand recueil des anecdotes nérudiennes- d’une de celles que lui seul a racontées.

Arturo Aldunate Phillips se souvient que bien des années après la construction de sa maison – il ne cite pas de date exacte, mais comme dans son texte il existe clairement un avant et un après cinquième anniversaire de sa Marie Céleste, célébré en 1958, on peut en déduire que ce fut un peu avant – Pablo Neruda l’invita pour lui montrer une figure de proue qu’il avait ajoutée à sa collection. C’était, dit-il, la belle image sculptée en bois d’une jeune femme dont le visage ressemblait à celui de Lucía, son épouse.

Le poète appelait cette figure Marie Céleste, lui expliquant que lorsqu’il l’avait ainsi baptisée, il ignorait que sa maison-navire possédait le même nom. Considérant qu’il serait logique que celle-ci passât de ce fait en son pouvoir, Neruda lui aurait offert de la lui céder en échange d’un cadre qu’il possédait : une huile symbolique, appelée Les attributs de l’homme, cadre pour lequel le poète avait déjà manifesté antérieurement un grand intérêt. L’histoire se perd dans des détails de décès et d’héritages. Mais en résumé, on ne parvint pas à cette occasion à un accord sur l’échange du cadre contre la figure de proue et chacun garda son bien.

Sans mettre en doute ce que relate Arturo Aldunate Phillips dans son livre, nous soutenons nous aussi, sans aucun doute, qu’il doit s’être agi d’une autre figure, et non pas de l’énigmatique, connue et admirée, de la plus belle de toutes les figures de proue, celle qui s’appelait Marie Céleste dans la collection nérudienne. Cela ne peut faire aucun doute pour personne. Car notre affirmation a un argument très fort, qui saute aux yeux en regardant simplement l’illustration de la couverture du livre de Aldunate Phillips. La photo de la figure de proue qu’il identifie là comme étant Marie-Céleste – et qu’il reproduit page 160- permet de vérifier immédiatement qu’il ne s’agit pas d’elle. La figure qu’il identifie comme étant Marie Céleste est Jenny Lind, le rossignol de Suède, l’amoureuse de Hans Christian Andersen.

Pourquoi cette confusion ? Ah, mystères nérudiens. L’évidente ressemblance des traits de Lucía de Aldunate avec ceux de cette figure, et on penserait d’ailleurs à tort qu’ils eussent été sculptés ainsi exprés- est un fait étrange et curieux qui ne dut pas échapper à l’observation du poète. Ce qui expliquerait pourquoi Neruda était disposé à la céder en échange du cadre. Celle-là, appelons-la pour l’instant «l’ authentique » Marie Céleste,- nous verrons qu’il ne possédait pas encore- il ne l’aurait échangée pour aucun trésor au monde.

Existerait-il la possibilité que la véritable Marie-Céleste fût celle avec laquelle Arturo Aldunate Phillips illustra en 1979 la couverture de sa petite histoire, c’est-à-dire Lucía (Jenny Lind) ? A cette question, on ne peut répondre qu’avec un non catégorique. Un non, valable pour le moins à partir du début des années soixante. Car dans Une maison dans le sable, éditée en 1966 à Barcelone, la Marie Céleste dont le portrait apparaît dans toute sa splendeur est celle que nous connaissons sous ce nom : la figure de proue la plus aimée et à l’histoire la plus relatée de toute la collection du poète. Voici ce qu’il dit, dans son propre livre, bien antérieur à celui de Aldunate Phillips :

« Alain (2) et moi l’avons tirée du marché aux puces où elle gisait sous sept couches d’oubli. En fait on avait du mal à la distinguer parmi les lits démantibulés et les ferrailles tordues. Nous l’avons portée jusqu’à la voiture d’Alain, attachée au-dessus, et ensuite dans une caisse, avec beaucoup de retard, elle est arrivée à Puerto San Antonio. Solimano (3) la sauva de la douane, intacte, et me l’apporta jusqu’à l’Île Noire. Mais moi je l’avais oubliée. Peut-être bien que je conservais le souvenir de cette apparition poussiéreuse parmi la ferraille. C’est seulement lorsque nous défîmes la petite caisse que nous sentîmes l’étonnement de son impondérable présence.
Elle était faite en bois sombre et était si parfaitement douce ! Le vent l’emporte en soulevant sa tunique ! Et à la naissance de ses seins, une broche sauvegarde son décolleté. Elle a deux yeux anxieux et la tête offerte au vent du large. Pendant le long hiver sur l’Île Noire, quelques larmes mystérieuses coulent de ses yeux de cristal et restent sur ses joues, sans choir. La concentration de l’humidité, disent les sceptiques. Un miracle, dis-je avec respect.
Je n’essuie pas ses larmes, qui sont peu nombreuses, mais qui brillent tels des topazes sur son visage. Je ne les essuie pas, car je me suis habitué à ses pleurs cachés et tus, comme si on ne devait pas les remarquer. Passent ensuite les mois froids, arrive le soleil et la Marie Céleste sourit, tendre comme le printemps. Mais, pourquoi pleure t-elle ?

Dans J’avoue que j’ai vécu, il ajoute :
« J’ai des figures de proue masculines et féminines. La plus petite et la plus délicieuse, que Salvador Allende a tenté à plusieurs reprises de m’arracher, s’appelle Marie Céleste. Elle a appartenu à un navire français, de taille moyenne, qui sans doute n’a pas navigué, si ce n’est sur les eaux de la Seine. Elle est de couleur sombre, sculptée en coin ; et depuis tant d’années, elle s’est obscurcie définitivement. C’est une petite femme qui semble voler sur les forces du vent sculptées dans de beaux habits Second Empire. Au-dessus des fossettes de ses joues, ses yeux de faïence regardent l’horizon. Et même si cela semble étrange, ces yeux pleurent durant tout l’hiver, tous les ans. Personne ne peut l’expliquer. Il se peut que le bois brun recueille une certaine humidité par imprégnation. Mais ce qui est certain, c’est que ces yeux français pleurent en hiver, et que je vois chaque année les précieuses larmes couler sur le petit visage de Marie Céleste. »

Et il insiste dans Je suis né pour naître, regardant peut-être une photographie qui apparaît en 1964 dans Génie et figure de Pablo Neruda (Margarita Aguirre) « ... de cette longue caisse pareille à un cercueil sort un doux visage de femme, de hauts seins en bois qui coupèrent le vent, des mains imprégnées de musique et de saumure. C’est une figure de femme, une figure de proue. Je la baptise Marie Céleste, car elle porte en elle le mystère d’une embarcation perdue. J’ai trouvé cette radieuse beauté dans un bric à brac de Paris, ensevelie sous de la ferraille désuète, défigurée par l’abandon, cachée sous de sépulcrales guenilles de faubourg. Située maintenant en hauteur, elle navigue à nouveau vive et fraîche. Chaque matin, ses joues se couvrent de mystérieux pleurs ou larmes marines. »

Ces larmes, sa phrase : « je la baptise Marie Céleste, car elle porte en elle le mystère d’une embarcation perdue » , et un paragraphe d’un de ses articles paru en 1966 dans la revue « Ercilla », et ensuite dans J’avoue que j’ai vécu : « Le maître Hollander me fit également un grand plaisir en effectuant pour moi deux versions de la Marie Céleste qui depuis 1882 est devenue la reine , le mystère des mystères », nous ont incités à faire une anti-investigation de ces énigmes, mais surtout de ces larmes…

Le fait que nous connaissions en partie l’histoire du bateau et la version romancée par Conan Doyle eut également une influence. Et aussi parce que nous connaissions le maître Hollander. Nous parlerons d’abord de celui-ci, en nous remémorant d’agréables souvenirs à la manière de Aldunate Phillips :
Au sud de Concepción, après avoir traversé le Bío Bío et continué jusqu’à la Zone du Charbon, dans le golfe de Arauco, au bord de la mer, entre Lota et Schwager, on trouve la ville de Coronel. Là, dans la rue Los Carrera au numéro 254 vécut jusqu’au début des années 60 le peintre don Tulio García París avec son épouse madame Norma Albisini – assistante sociale pour les mineurs de charbon- une fille et un fils. Ce dernier fut le compagnon d’études de l’auteur de ces lignes à l’université de Concepción. La maison des García Albisini fut une de celles, peu nombreuses dans cette paisible rue Los Carrera, à ne pas être endommagée lors du tremblement de terre de mai 1960.

Ceci permit que les cadres du peintre, ses dessins, ses livres et ses objets, qui étaient en grand nombre dans cette maison, fussent sauvés du cataclysme, comme si ou rien ou presque s’était passé. A la grande joie de Don Tulio, dont l’intérêt pour tous les aspects de la culture était- et est puisqu’il est toujours vivant- inépuisable. Pendant de nombreuses années, il représenta, à Coronel et dans toute la zone, l’intellectualité de son parti, et ce de manière inégalée. L’importance politico-sociale de la Zone du Charbon rendait possible les visites de personnalités à Coronel. Juste à côté de la maison de Don Tulio, dans une grande bâtisse qui bien des années auparavant se nommait Hotel La Bomba et qui avait souffert des conséquences du séisme de si mauvaise manière qu’il fallut ensuite l’abattre, se trouvait le bar-restaurant Hidalgo, appartenant à un républicain espagnol à la grande activité politique. Le grand peintre mexicain Diego Rivera, le poète Pablo de Rokha et d’autres gens intéressants fréquentèrent ce bar qui n’existe plus. Pablo Neruda s’y trouva à plusieurs reprises. Une fois, il se fit accompagner par Don Tulio García jusqu’à une modeste demeure située à environ 800 mètres du bar, dans une étroite ruelle au sable tassé au rouleau qui, sans en être la continuation à la limite sud de Coronel, était une sorte de prolongation piétonnière de la rue Los Carrera. Aux fenêtres de cette maisonnette, qui servaient de vitrines, s’exposaient pour la vente quelques objets faits manuellement qui ravissaient le poète : les bateaux que construisait don Carlos Hollander avec une incroyable maîtrise à l’intérieur de bouteilles. Nous y vîmes une fois le maître.

Neruda acheta toute une flottille au maître Hollander. Et comme ils conversaient à chaque visite, un jour, il résuma tout ce qu’il savait à son sujet et écrivit un article qu’il publia dans un journal à fort tirage ; le poète présenta don Carlos à tout le Chili. De plus, il lui passa un jour une double commande : construire un bateau très spécial, la Marie-Céleste, deux fois. Pour quel motif et dans quel but voulait-il posséder la Marie Céleste en double version ? Neruda ne donna aucune explication. Et personne ne lui posa jamais la question. Don Tulio non plus. Peut-être fût-ce pour changer l’une par l’autre vue par ici. Mais si tel fut le cas, le troc ne se réalisa pas. Les deux bouteilles identiques sont à l’Île Noire. On pourrait dire que, mise en bouteille ou sculptée, la Marie Céleste ne se changeait pas de but en blanc. Don Carlos Hollander construisit deux fois la miniature à l’intérieur d’une bouteille, sans savoir si elle était ressemblante à l’original.
Car ne disposant pas de photo ou d’autres renseignements graphiques, il dut s’en tenir aux descriptions. Réussissant à réaliser en trois dimensions des miniatures pour qu’on les vît de la même manière qu’on voyait probablement la Marie Céleste du grand mystère de la mer.. La même chose concernant une gravure connue depuis plusieurs décades. Ainsi que pour des timbres émis par Gibraltar montrant son image supposée. Ainsi reproduite, il s’agit et il ne s’agit pas de la Marie Céleste. A Gibraltar, on examina le navire. Il s’agissait d’examens qui prétendaient tirer au clair des aspects judiciaires et criminels et que l’on fit minutieusement figurer par écrit au protocole. Le navire y est décrit de proue en poupe, de babord à tribord. Dans ces protocoles, il n’est fait aucunement mention que la proue ait été décorée d’une figure. C’est-à-dire qu’elle manquait d’ornements de ce genre.

Ceci ne doit pas nous faire penser que Pablo Neruda eût assuré le contraire. Ou qu’il eût prétendu faire croire qu’il possédât dans sa collection la figure de proue de ce navire-là. Rien de tout cela. Dans les paragraphes cités précédemment, il est très clair qu’il découvrit une figurine en bois dans une brocante parisienne du marché aux puces et qu’il pensa – il se peut que le commerçant qui la lui vendit le lui eût dit ainsi- qu’elle avait décoré, aux temps passés, la proue d’un navire fluvial sur la Seine, un bateau disparu à tout jamais. Peut-être fût-ce cela qui l’intéressa le plus. Les navires fluviaux ont une importance dans la biographie du poète : c’est à bord de l’un d’entre eux qu’il découvrit la mer.

De Carahue à Puerto Saavedra, Neruda navigua avant d’être Neruda. Et après aussi.

C’étaient des embarcations qui manquaient de figures de proue, mais qui avaient des yeux. Le Saturne par exemple dévorait de ses yeux de proue l’adolescent maigrelet et rêveur qui attendait anxieusement sur le quai, des lettres qui peut-être avaient embarqué. Et si ce n’était pas le Saturne, c’était le Cautín, ou le Naguilán, ou l’Etoile du Sud. Mais le Saturne était celui qui l’hypnotisait de ses yeux. Et il ne l’oublia jamais, même s’il n’y a guère de preuves. Après le tremblement de terre de 1939, la navigation fluviale sur le río Imperial, de Carahue à Puerto Saavedra se réduisit au minimum, pour ensuite disparaître avec tous ses bateaux. Y compris l’Etoile du Sud disparut. Cela ne lui servit à rien de porter le nom d’un livre que Neftalí Reyes, ou Pablo Neruda, lut un été à Puerto Saavedra* : L’Etoile du Sud de Jules Verne.

Revenons à ce qui nous occupait : à la figure de proue appelée Marie Céleste. Sarita Vial et Alain Sicard sont d’accord pour signaler que cette figure en bois découverte à Paris, avait dû arriver à l’Île Noire au début des années soixante. Alain Sicard, très aimable comme à son habitude, confirme ce que dit Neruda dans Une maison dans le sable et répond à notre question quant à « sa voiture » , il s’agissait en fait d’un Renault 4 x 4 d’alors, rien moins que luxueux, mais commode pour ce genre de nécessités. Sarita, de son côté, tout aussi sympathique, nous raconte que, très fièrement, Neruda lui présenta la toute nouvelle arrivée Marie Céleste à l’Île Noire, qui occupa immédiatement une place spéciale dans sa maison. Personne ne sait comment s’appelait en France la figurine de bois sombre et aux yeux de porcelaine qui pleurent parfois. Le fait est que Neruda la baptisa – ou la rebaptisa- Marie Céleste à l’Île Noire.. Sans que cela signifie que le bateau voué à la démolition, dont on avait démonté la figure de proue qui après je ne sais quelles péripéties vint à se retrouver sur le marché aux puces de Paris et de là au Chili, se soit également appelé Marie Céleste. Pas plus que la figurine de sa collection qui (après s’être appelée Marie Céleste ?) porte le nom de Jenny Lind, appartint au navire du même nom. Le poète prit la license poétique de la nommer ainsi, même si elle n’avait pas grand-chose en commun avec la célèbre soprano dont Hans Christian Andersen tomba éperdument amoureux. La figure de proue authentique, faite à l’image et à la ressemblance de Jenny Lind, le rossignol de Suède, existe. Oui, elle existe , et elle est bien à l’abri dans un musée qui n’est pas celui de l’Île Noire. Neruda devait le savoir, mais comme poète, il avait la liberté de baptiser et rebaptiser ses jouets, ses maisons, ses amours, etc, comme bon lui semblait, et selon son envie ludique et poétique. Nous pensons ne pas nous tromper en disant, par exemple, que s’il a baptisé l’Île Noire « Île Noire », cela est dû au fait que lorsqu’il visita pour la première fois l’endroit, ce qui le fascina plus que la maison plus, ce fut le site, qui lui rappelait terriblement un lieu d’où, quelques années auparavant, en Orient, tel Sandokan à Mompracem, il voyait l’île de Sumatra. Dans l’une des lettres qu’il envoya de là-bas à Eandi, il appelle Sumatra « l’Île Noire ».

A force de divaguer et d’élucubrer sur telle ou telle chose, ainsi que de consulter telle et telle source d’information et d’imagination, nous ne nous sommes rendus compte qu’à la mi-novembre que l’année 2005 touchait à sa fin. Ce qui rendit le sujet urgent. Car 2005 était l’année Jules Verne ! Il fallut donc écrire et publier, dans ce qu’il restait de l’année, ceci que le patient lecteur est en train de lire.
Nous révélerons donc pour terminer ce que veut dire ceci. Mesdames et messieurs, ajoutant ce témoignage aux hommages rendus à Jules Verne, à l’occasion du centenaire 1828-1905 / 2005, nous allons faire connaître le nom original de la belle figure en bois que Pablo Neruda, lorsqu’il la sortit de la caisse dans laquelle elle avait traversé les mers pour accomplir son destin à l’Île Noire, rebaptisa du nom de Marie Céleste. Nous ne nous étendrons pas sur des détails en rapport avec les méthodes employées pour mener à bon terme cette anti-investigation digne de Sherlock Holmes. Le temps presse, et la preuve graphique, argument frappant que nous fournirons, parle d’elle-même.
La figure de proue nérudienne d’une embarcation de la Seine, qui dans la collection de l’Île Noire se nomme Marie Céleste, portait en France le nom d’une jeune et jolie dame – en plus d’être courageuse- qui rendit visite un jour à Jules Verne, dans sa maison d’Amiens, pour lui faire part du voyage qu’elle était en train d’effectuer autour du monde, à l’égal de Phileas Fogg, tout à fait certaine de pouvoir le faire seule et en moins de quatre-vingts jours. Et parce qu’elle le réussit effectivement, elle devint très célèbre à son époque, même si aujourd’hui presque plus personne ne se souvient de son extraordinaire aventure..De son nom, on baptisa des locomotives, des bateaux, des voitures et autres moyens de transport : Nellie Bly. Ce nom, tiré d’une chanson du populaire auteur de Oh Susanna dont peu se souviennent également, était le nom de plume d’Elisabeth Cochrane, toute jeune journaliste au New York World, le fameux journal de Joseph Pulitzer.
Son nom de famille laisse penser à une possible parenté entre Nellie Bly et Lord Cochrane, mais il n’en est rien. Certes, Jules Verne mentionne « notre » lord Cochrane au chapitre III de l’Archipel en feu, publié conjointement avec l’Etoile du Sud. Mais ceci correspond à une autre histoire qui n’a rien à voir avec celle que nous finissons de relater.
Le retour de Nellie Bly à New York, le 25 janvier 1890, fut célébré en apothéose à Broadway. Ce n’était pas pour rien : Nellie avait mis 72 jours, 6 heures, 11 minutes et 14 secondes pour faire le tour du monde !!

La spectaculaire nouvelle arriva à Amiens par câble le jour même et fut immédiatement communiquée à Jules Verne.

En France, un artiste dont le nom est oublié aujourd’hui, sculpta magistralement dans une pièce de bois de chêne d’Amiens, une superbe figure de proue pour une embarcation fluviale française, en hommage à cette toute jeune femme, quasi enfant, et à Jules Verne.
La figure sculptée à l’image et à la ressemblance de Nellie Bly est d’une étonnante fidélité. Bien des années plus tard, dans un pays lointain, cette figure pleurerait, car tout ce qui lui donna forme un jour, tomba dans l’oubli. Et parce que le bateau fluvial dont elle ornait la proue, disparut dans le fleuve à tout jamais. Et surtout, parce que là-bas, à l’autre bout du monde, même tant aimée et admirée, on l’appelait – et pour toujours peut-être – d’un nom qui n’était pas le sien : Marie Céleste.

C’est pour cela que tu pleures, Nellie Bly !

© Enrique Robertson
Décembre 2005


(Traduction : Nicole Pottier)

NOTES

(1) Publiée ultérieurement sous forme de livre par Editorial Nascimento.

(2) Prof. Alain Sicard. Grand érudit de l’œuvre et ami de Neruda. Poitiers, Francia.

(3) Manuel Solimano, `el gran cacciatore'; genevois chilien, grand ami de Neruda.

(4) Sarita Vial. Poétesse y journaliste. Auteur de Pablo Neruda en Valparaíso, grande amie du poète.

(*) ...je me nourrissais de Salgari et Jules Verne à Puerto Saavedra (P.Neruda, entrevue BBC Londres).


Principales Oeuvres consultées:

- Obras Completas de Pablo Neruda. Tomos I -V. (a cargo y con notas del Prof.Hernán Loyola).

- Las Furias y las Penas. Tomos I y II. David Schidlowsky.

- Obras Completas de Julio Verne.

- Mi pequeña historia de Pablo Neruda, Arturo Aldunate Phillips Santiago, Editorial Universitaria, 1979




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