| = Une réflexion intéressante mais simplement ébauchée | Elies [30.Dec.11 13:05] |
| Ces considérations sont très intéressantes mais elles ne constituent qu'une ébauche des difficultés et des tendances de la poésie contemporaine. Vous évoquez à plusieurs reprises Maulpoix mais les analyses les plus pertinentes sur l'évolution récente de la poésie sont sans doute celles de Bonnefoy et Meschonnic, qui identifient la poésie à une manière de vivre et à l'expression d'un rapport intime et personnel au monde des choses. Pour cette raison, (et je vous rejoins sur plusieurs points) il me semble que la neutralisation ou l'affirmation excessive du "je" (notamment dans les performances scéniques et le surgissement du slam), la conceptualisation du rapport au langage (cf les jeux "gratuits" de dislocation grammaticale, etc.) ou la revendication d'un message social (la formule poétique n'est pas un slogan) sont les impasses dans lesquelles se fourvoyent nombre d'auteurs modernes par souci de modernité. En fait, la poésie est pour moi une tentative de parler avec sa voix propre pour dire, en creux dans l'épaisseur du langage puisqu'il n'est pas possible de dire directement avec des mots la quidité du réel, le "presque rien" qui est l'indicible du réel (le grand indicible étant la mort et ses ombres portées) et que tous ne percoivent pas. Pour répondre à votre question, la poésie ne pourra jamais être une littérature de masse parce qu'elle est avant tout une voix qui parle dans le silence et qui espère être entendue de ceux (les amis inconnus) qui peuvent la recevoir et ceux-ci ne peuvent pas être "tous". J'aime beaucoup le mot d'Eluard sur la poète : "celui qui inspire davantage que celui qui est inspiré" et j'associe la poésie, au-delà du texte, à sa puissance d'impact et à sa capacité à m'insuffler une vision, à m'apporter une connaissance ou un doute qui modifie mon rapport au monde (ce qui fait que je trouve de la poésie dans certains ouvrages religieux ou scientifiques, notamment d'astrophysique et de cosmologie). En outre, il y a en France d'autres écueils dans la relation poésie/lecteurs que vous n'évoquez pas comme les conditions de l'édition et de la diffusion des oeuvres (librairies, salons, revues, bibliothèques, etc.), la multiplication des textes (dont une portion non négligeable de qualité médiocre), des prix (qui se gagnent parfois par "amitié") et des collections qui provoquent un effet de dilution, etc. | |
| = Une réponse d'Armand Robin | Elies [01.Feb.12 00:39] |
| Je viens de trouver chez un bouquiniste parisien l'édition originale de "Ma vie sans moi", recueil de poèmes d'Armand Robin paru en 1940 dans la collection nrf/Métamorphoses, qui est aujourd'hui disponible dans la célèbre collection Poésie/Gallimard. Je viens de découvrir que l'édition originale contenait une courte introduction, que Gallimard (que je pensais plus respectueux envers les poètes !) a supprimée dans la ré-édition. Je vous en recopie des extraits car ils constituent, je pense, un témoignage intéressant par un très grand poète hélas un peu tombé dans l'oubli (par la faute d'Aragon qui a profité de sa position dominante au sein du Parti Communiste pour régler ses comptes avec les dissidents) et une réponse possible à la question posée par Marlena Braester : "J'aime à rêver d'une poésie qui serait une grande chose simple (...) Depuis quelques générations beaucoup parmi les poètes les plus authentiques n'ont guère écrit que de la poésie pour poètes ; cette poésie a sa grandeur propre, elle a donné naissance à quelques-uns des chefs d'oeuvre de notre langue, mais il faut avouer que malgré sa beauté elle n'a pas aujourd'hui encore conquis la confiance des hommmes. (...) La vérité, toute simple, est que, tandis que les hommes, dociles à leur besoin le plus permanent, continuaient à chérir la poésie, nous, les poètes, nous avons fait tout notre possible pour les persuader que nous n'en voulions plus ; nous, les poètes, sommes les seuls responsables de ce divorce entre le public et nous ; il importe que ceci soit dit et répété par nous-mêmes." | |